Bilan des allègements généraux de cotisations sociales patronales (1993-2012)

argent par les fenêtres

Dans cette analyse, Hugo Léoni dresse le bilan des politiques d'allègements généraux de cotisations sociales patronales entre 1993 et 2012. Au regard de ce bilan, il ne fait aucun doute que le CICE n'aura que peu d'effet sur l'emploi et conduira a appauvrir l'Etat au bénéfice des actionnaires. C'est toute la politique de l'offre qui est en réalité en cause.  

Les allègements généraux constituent la partie la plus importante des exonérations de cotisations sociales patronales (69.5% en 2011, 76.5% prévu pour 2013) qui elles-mêmes correspondent avec les exemptions d’assiette aux niches sociales[1].

  • Historique des allègements généraux de cotisations sociales: des allègements de plus en plus importants avec de moins en moins de contreparties 

Bien que les premières exonérations de cotisations sociales patronales datent de 1977 (gouvernement Raymond Barre), les allègements généraux sur les bas salaires (c’est-à-dire tout travail rémunéré à un taux inférieur aux 2/3 du salaire horaire médian) émergent comme principal politique de l’emploi en 1993 (gouvernement d’Edouard Balladur). On distingue généralement trois grandes périodes :

–       1993-1998 : allègements au voisinage du Smic pour toutes les entreprises

En juillet 1993, le gouvernement d’Édouard Balladur institue une exonération totale de cotisations sociales d’allocations familiales pour les salaires jusqu’à 1.1 SMIC et partielle (50%) pour les salaires entre 1.1 et 1.2 SMIC. Il est étendu aux cotisations patronales pour l’assurance-maladie en 1995.

En 1996, le gouvernement d’Alain Juppé fusionne l’ensemble des dispositifs dans un allègement de cotisations sociales employeurs pour tous les salaires inférieurs à 1.33 SMIC. Cela correspond, au niveau du SMIC, à une baisse des cotisations de 18.2 points soit de 12.6%. C’est à cette date que les allègements deviennent le principal moyen d’action de la politique de l’emploi en France.

Le gouvernement de Lionel Jospin, à son arrivée en 1997, ne change pas grand chose alors même que les effets des allègements commencent à être contestés (Malinvaud).

–       1998-2002 : allègements pour compenser la mise en œuvre des RTT

En 1998 puis en 2000, et en parallèle aux mesures de 1997, les lois « Aubry » accordent des allègements supplémentaires aux entreprises qui acceptent de mettre en œuvre les 35h. Ces allègements augmentent, pour un salaire au niveau du SMIC, de 18.2 à 26 points de cotisation. Au-delà du SMIC, ils sont dégressifs jusqu’à 1.7 SMIC.

–       A partir de 2003 : des allègements sans aucune contrepartie

La loi « Fillon », en 2003, unifie les différentes rémunérations minimales (SMIC-GMR) et les barèmes d’allègements qui étaient différenciés selon le statut de l’entreprise en matière de RTT. Les allègements sont donc généralisés à toutes les entreprises : au niveau du SMIC, ils entraînent une baisse de 26 points de cotisation et diminuent linéairement jusqu’à 1.6 SMIC.

Entre 2007 et 2012, le taux maximal d’exonération au niveau du SMIC est porté à 28.1 points pour les entreprises de moins de 20 salariés. Les exonérations à vocation générale intégreront les exonérations sur les heures supplémentaires en 2007, avant d’être supprimées en 2012 (à l’exception des entreprises de moins de 20 salariés).

  • Des allègements qui concernent surtout les services et qui n’ont pas grand-chose à voir avec la compétitivité de l’industrie

Les exonérations de cotisations sociales sont souvent évoquées pour améliorer la compétitivité de l’industrie. En principe, toutes les entreprises sont susceptibles de bénéficier de ces allègements. Mais, dans la réalité, elles concernent principalement les secteurs à faible intensité capitalistique et versant des salaires faibles : 50% des exonérations concernent les salaires entre 1 et 1.1 SMIC et 85% bénéficient aux salaires jusqu’à 1.3 SMIC. Cela correspond donc, en France, principalement aux services (hôtellerie et restauration, commerce de détail, services à la personne, services opérationnels, construction) peu soumis à la concurrence internationale. 

  • Des effets sur l’emploi difficile à évaluer mais des risques importants sur la qualité de l’emploi, le niveau et l’évolution des salaires

Toutes les études reconnaissent que les effets des allègements généraux sur l’emploi sont difficiles à évaluer de manière précise. Pourtant, on entend souvent que le dispositif « Fillon » permettrait de créer entre 400 000 et 800 000 emplois au bout de 5 ans. Une étude de l’OFCE (Heyer & Plane, 2012) montre que ces résultats sont très fragiles et dépendants des hypothèses et des modèles retenus. Par exemple, si la mesure est financée ex-post, l’impact sur l’emploi baisse de 35% à 50% selon les modalités de financement retenues.

Concernant les salaires, les allègements généraux peuvent, en théorie, conduire à une réduction de la croissance des salaires, et devenir une « trappe à bas salaires ».

Les allègements généraux n’incitent pas à la création d’emplois de qualité car il n’y a aucune distinction selon la nature du contrat de travail. Les emplois en CDI, CDD, travail temporaire, travail intermittent ou encore travail à temps partiel bénéficient tous du même taux d’exonération. 

  • Des effets désastreux pour les finances publiques et la sécurité sociale

– Coûts pour les finances publiques : 20 milliards d’euros directs et peut-être plus indirectement 

 Le coût brut des allègements généraux pour les finances publiques est de 19.9 milliards d’euros (presque 1 point de PIB) en 2012 et de 27.6 milliards d’euros si l’on y ajoute les autres types d’exonérations, les réductions et abattements d’assiette.

L’incitation à verser des salaires bas peut aussi avoir une influence indirecte négative sur les finances publiques via son effet dépressif sur l’activité économique du fait d’une baisse de la consommation et d’un impact négatif sur les décisions d’investissement de la part des entreprises qui anticipent des débouchés moindres pour leurs biens et services.

– Coûts pour la sécurité sociale : une perte de 2.9 milliards d’euros pour la sécurité sociale pour 2012.

 En principe (loi 1994 et 2007), depuis 1994, le manque à gagner pour la sécurité sociale lié aux réductions ou exonérations de cotisations sociales et aux réductions ou abattements d’assiette doit être intégralement compensées par l’Etat. En réalité, si l’on prend les compensations pour les exonérations de cotisations sociales, les réductions et abattements d’assiette, ce n’est jamais le cas. La compensation a tendance à diminuer depuis 2008 (elle baisse de 2.1 points depuis cette date) et représente 10,5% des exonérations, réductions et abattements d’assiette en 2012, c’est-à-dire une perte de 2.9 milliards d’euros pour le régime général de la sécurité sociale. Depuis 2003, la non-compensation entraîne une perte de 25.4 milliards d’euros pour la sécurité sociale (46.1 milliards d’euros depuis 1993).

De plus, la compensation par des impôts et taxes affectés entraîne une perte d’autonomie de plus en plus forte de la sécurité sociale du fait d’une hausse de sa fiscalisation.

Enfin, l’incitation à verser de bas salaires implique aussi un manque à gagner potentiel pour la sécurité sociale car le montant de cotisation devient plus faible.

 

Hugo Léoni, responsable du groupe de travail « Protection Sociale ».

Références pour aller plus loin :

  • Acoss – Direction des Statistiques, des Études et de la Prévision (2013). Les exonérations de nouveau en recul en 2012. ACOSSTATBilan, n°181, novembre 2013.
  • Heyer, Éric & Plane, Mathieu (2012). Impact des allègements de cotisations patronales des bas salaires sur l’emploi – l’apport des modèles macroéconomiques. Revue de l’OFCEDébats et Politiques, n° 126. URL : http://www.ofce.sciences-po.fr/pdf/revue/5-126.pdf.
  • Ourliac, Benoît & Nouveau, Cyril (2012). Les allègements de cotisations sociales patronales sur les bas salaires en France de 1993 à 2009. Document d’études de la DARES, n° 169, février 2012. URL : http://travail-emploi.gouv.fr/IMG/pdf/DE2012-_no169.pdf.
  • Site web : http://www.vie-publique.fr/decouverte-institutions/finances-publiques/approfondissements/allegements-charges-sociales-manque-gagner-pour-securite-sociale.html

[1] Les niches sociales sont « les dispositions législatives ou réglementaires dont la mise en œuvre entraîne pour l’État une perte de recettes et donc pour les contribuables, un allègement de leur charge fiscale par rapport à ce qui serait résulté de l’application de la norme, c’est-à-dire des principes généraux du droit fiscal français » (Annexe V du projet de Loi de Financement de la Sécurité Sociale).

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