Un accord historiquement mauvais

  Guillaume Etievant, président de la commission Economie

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Après trois mois de négociations, le patronat a réussi à signer un accord national interprofessionnel de « sécurisation de l’emploi » avec trois syndicats (CFDT- CFTC- CFE CGC) n’ayant rassemblé aux dernières élections prud’homales que 38,7% des voix. La CGT et FO n’ont pas signé, mais le gouvernement y voit pourtant un succès du dialogue social et considère qu’il s’agit d’un accord « historique ». L’accord est en effet historique, non pas pour le peu d’avancées qu’il comprend, mais parce qu’il signe la victoire du Medef, qui a enfin réussi à arracher ce qu’il souhaitait depuis trente ans : briser les barrières encore existantes à la flexibilité et affaiblir considérablement les droits des salariés dans l’entreprise. Cet accord est historique, car s’il était transformé en loi comme c’est prévu, il signerait la mort du code du travail comme protection permettant de contrebalancer en partie le lien de subordination et de dépendance du salarié vis-à-vis de l’employeur.

Une mise à mort du code du travail

Laurence Parisot, la présidente du Medef, ne s’y trompe pas en saluant « l’avènement d’une culture du compromis après des décennies d’une philosophie de l’antagonisme social ». Son but a en effet toujours été de permettre aux accords d’entreprise de déroger au code du travail et de s’imposer individuellement aux salariés. Elle sait bien que le patronat et les actionnaires ont toutes les armes en main pour imposer des compromis défavorables aux salariés. La loi Fillon du 4 mai 2004 permettait déjà aux accords d’entreprises de déroger aux normes supérieures, c’est-à-dire aux accords de branches et au code du travail. Mais le salarié pouvait encore jusqu’à présent refuser les avenants à son contrat de travail et garder l’ensemble de ses droits s’il était licencié. L’accord de « sécurisation de l’emploi » signé le 11 janvier va beaucoup plus loin dans l’inversion de la hiérarchie des normes et dans la fin du principe de faveur. Il constitue en ce sens une immense régression du droit du travail : si un accord majoritaire est signé dans l’entreprise, imposant une baisse des salaires ou une hausse du temps de travail, le salarié ne pourra refuser l’avenant à son contrat de travail. S’il le fait, il sera licencié sans les droits collectifs afférents au licenciement économique. L’article 18 de l’accord est très clair sur ce point : « En cas de refus du salarié des mesures prévues par l’accord, la rupture de son contrat de travail qui en résulte s’analyse en un licenciement économique dont la cause réelle et sérieuse est attestée par l’accord précité. L’entreprise est exonérée de l’ensemble des obligations légales et conventionnelles qui auraient résulté d’un licenciement collectif pour motif économique ». En échange, l’entreprise devra s’engager à maintenir l’emploi et à partager le bénéfice issu des sacrifices réalisés par les salariés. Mais rien n’est précisé dans l’accord sur ces engagements.

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Crédit photo Michel Soudais

La précarité pour tous les salariés

Les accords-compétitivité emplois proposés par Sarkozy et dont rêvaient le Medef sont donc en passe de devenir une réalité. Ils s’appellent désormais « accords de maintien dans l’emploi », mais le contenu est le même. Pourtant, à l’époque où le PS était dans l’opposition, il rejetait frontalement ce type d’accords. Martine Aubry avait par exemple affirmé que les accords de compétitivité risquaient d’ « accroître la précarité » et « de déstructurer le droit du travail ». Les accords de « maintien dans l’emploi » que le gouvernement veut faire inscrire dans la loi vont effectivement étendre la précarité à l’ensemble des salariés. Jusqu’à présent, les salariés à temps plein au CDI pouvaient se sentir relativement protégés tant qu’ils gardaient leurs emplois. Désormais, ils ne pourront plus s’opposer à des baisses de salaires, et le contrat de travail ne les protégera plus comme auparavant.

Le Medef ne s’est pas contenté de cette rupture historique. L’accord est rempli d’autres attaques contre les droits des salariés. Ainsi, l’accès au juge prud’homal sera limité avec l’instauration d’un délai de deux ans maximum pour une réclamation portant sur l’exécution ou la rupture du contrat de travail. L’accord favorise également la conciliation par le versement d’une indemnité forfaitaire qui vaudrait « réparation de l’ensemble des préjudices liés à la rupture du contrat de travail » : le but du patronat est de disposer de tous les moyens possibles pour éviter le juge, puisqu’aujourd’hui 71% des jugements aux prud’hommes sont favorables aux salariés.

L’accord s’attaque aussi aux institutions représentatives du personnel. La plus frontale concerne la procédure de Plan de Sauvegarde de l’Emploi, appelé couramment plan social. Jusqu’à présent, la procédure de licenciement collectif pour motif économique était fixée dans la loi et précisait notamment les documents à fournir au Comité d’entreprise (CE), le rôle de l’expert du CE, l’ordre des licenciements, etc. Le PSE rédigé par l’employeur était présenté au CE en suivant cette procédure. S’il considérait que la procédure n’était pas respectée, le CE pouvait bloquer la procédure en refusant d’émettre un avis ou même faire casser le plan en justice. L’accord sur la « sécurisation de l’emploi » entrave le rôle du CE et ce cadre légal en permettant qu’ « un accord collectif puisse fixer, par dérogation aux dispositions concernées du chapitre III du Titre III du Livre II du code du travail, des procédures applicables à un licenciement collectif pour motif économique ».

Pas de véritables droits nouveaux

En échange de ces énormes victoires du patronat, le gouvernement et les syndicats minoritaires qui ont signé l’accord se plaisent à se féliciter des « droits nouveaux » qui auraient été obtenus par les salariés. La lecture de l’accord démontre qu’ils sont très contestables et limités. La majoration de cotisations des CDD est, par exemple, limitée aux contrats de moins de trois mois et pourra être contournée par le recours à l’intérim ou à la période d’essai des CDI, non touchés par l’accord. Surtout, le patronat a obtenu en compensation une réduction de cotisations sociales de 155 millions d’euros pour les embauches en CDI de jeunes de moins de 26 ans, alors que le coût de la surcotisation sur les CDD courts s’élève à 110 millions d’euros. L’accord, qui fragilisera les comptes de l’UNEDIC, est donc très favorable au patronat.

Autre exemple : les droits rechargeables pour les chômeurs. Les salariés reprenant un emploi après une période de chômage pourraient conserver la partie non utilisée de leurs droits aux allocations chômage en vue d’une future période de chômage. Mais cette nouvelle disposition doit, selon l’accord, être mise en œuvre sans « aggraver le déséquilibre financier du régime d’assurance chômage », une précision qui permet d’ajourner la mise en place de cette mesure. Quant à la généralisation de la couverture santé complémentaire, elle sera financée à moitié par les salariés et profitera aux grandes compagnies d’assurances, alors que l’objectif d’un véritable gouvernement de gauche devrait plutôt être d’étendre les soins remboursés par la sécurité sociale.

Bref, cet accord ne sécurise en aucune manière l’emploi et les salariés. Son refus de s’attaquer aux inégalités hommes-femmes et à la précarité est un scandale, alors que les femmes représentent plus de 80% des salariés à temps partiel. La volonté du gouvernement de transposer cet accord dans une loi à la mi-mars sans réel débat parlementaire témoigne de sa soumission au patronat. Espérons que les luttes sociales et la mobilisation des travailleurs pourront permettre de faire reculer le gouvernement dans cette voie qui va à l’encontre des intérêts du monde du travail.

Guillaume Etievant

 

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