La prison est aussi l’école de l’exploitation salariale
Par Laélia Véron.
Le 04 janvier 2015, i-télé diffuse un court reportage sur le travail en prison. Il s’agit, nous dit-on, d’un « documentaire ». Le mot propagande conviendrait mieux. En effet, rappelons que le travail en prison représente
une zone de non-droit dans le système français, que la détention est un endroit où les détenus sont livrés à l’exploitation sans vergogne de l’État (lorsqu’ils travaillent au service général, c’est-à-dire dans les services de l’établissement pénitentiaire, cuisine, ménage, etc.), ou des concessionnaires privés (voir l’article sur le non-droit du travail en prison). D’ailleurs, le cas du travail en détention n’apparaît pas dans le Code du travail : c’est le Code de procédure pénale qui pose les limites de la réglementation, ou plutôt de la déréglementation, du travail de la personne détenue.
Cependant i-télé nous présente le travail en détention comme un exemple idyllique de bonne « coopération » entre le patron et les employés. En effet, les conditions de travail sont présentées comme tout à fait bonnes, les travailleurs sont épanouis et considèrent tous le fait de pouvoir travailler, dans le cadre pénitentiaire, comme une faveur. Le fait de travailler n’est donc jamais subi, n’est jamais une nécessité (alors qu’on considère qu’en maison d’arrêt, environ 57,7% des détenus sont en dessous du seuil de pauvreté), c’est toujours un choix assumé et libérateur. Le documentaire avoue certes que les salaires sont inférieurs au SMIC (rappelons qu’au service général les personnes détenues gagnent seulement entre 20 et 30% du SMIC, et qu’aux ateliers le salaire à la pièce se pratique encore) mais cette exploitation est présentée comme une juste compensation du fait que les détenus seraient « nourris, logés, blanchis ». Bref, i-télé nous montre un monde où tout le monde est content : le patron qui a moins de salaires à verser, et les personnes détenues, ravies de cette faveur – pouvoir travailler.
Cependant, aucune mention dans ce « documentaire » de la réalité de l’exploitation des travailleurs et travailleuses en prison. Aucune mention du coût de la vie en prison, alors que les personnes détenues sont bien loin d’être entretenues gratis : rappelons que la personne détenue, outre l’éventuelle obligation d’avoir à verser des sommes d’argent aux parties civiles, se retrouve en situation de « cantiner », c’est-à-dire qu’elle achète des produits sur un catalogue où les produits sont plus chers qu’à l’extérieur puisque les produits d’hygiène de base comme le papier toilette sont à la charge du détenu et que la nourriture est réduite au strict minimum. Aucune mention donc du coût de la vie en prison. Aucune mention non plus de l’absence de droit du travail : l’absence de contrat de travail, de médecine du travail, d’inspection du travail, l’interdiction de toute expression syndicale ou collective, et la punition systématique et arbitraire de toute tentative pour faire entendre ses droits, par le transfert ou le chantage : rappelons que l’administration est souveraine quand il s’agit de déterminer qui peut ou non obtenir le poste à qui il ou elle prétend. Pas de mention non plus du chantage à la réinsertion : pour obtenir une libération conditionnelle il est bien vu d’être « réinsérable », c’est-à-dire de travailler en prison, ou de montrer qu’on est prêt à se laisser exploiter et que le travail sous-rémunéré est une faveur.
Il faut dire qu’i-télé fait attention à nous proposer des témoignages neutres et objectifs : les personnes qui témoignent des bonnes conditions de travail en détention sont ainsi logiquement le responsable du centre d’appel qui embauche des personnes détenues, et une salariée, intérimaire, … mais libre. En bonne logique néolibérale qui devrait plaire à E. Macron, l’exploitation salariale est présentée comme le modèle à suivre. En effet, le seul problème esquissé n’est certes pas l’exploitation des personnes détenues mais… la concurrence de fait imposée aux autres salariés qui ont le tort, eux, d’avoir un SMIC, et de coûter plus cher au patron. Gageons que si l’on mettait tout le monde en prison, le problème serait réglé. Le fonctionnement du travail carcéral est le rêve de tout patron capitaliste : plus besoin de délocaliser, une main-d’œuvre exploitable à merci existe – en prison. Certes la majorité des détenus finit par sortir, mais la prison n’est pas seulement l’école du crime, c’est aussi l’école de la soumission à l’exploitation salariale.
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