Le contrat unique de travail : un petit pas pour le gouvernement, un bond de géant pour les libéraux !

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Le contrat unique de travail (CUT) est une vieille antienne de la droite et du Medef, revenant régulièrement sur le devant de la scène médiatique. Longtemps prôné par la droite –on se souvient que M. Nicolas Sarkozy l’avait proposé lors de la campagne présidentielle de 2007-, il est aujourd’hui mis sur la table par le Premier ministre –socialiste aux dernières nouvelles-, en la personne de M. Manuel Valls.

Le CDI, cause principale du chômage.

Pour les tenants du contrat unique, le constat est simple. Le marché du travail français est trop fortement divisé, et tend à surprotéger les salariés ayant signé un CDI au détriment de tous les autres, qui doivent se contenter d’un CDD ou d’un intérim, à temps plein ou à temps partiel. C’est donc au nom de l’égalité que l’on devrait en finir avec cette dualité du marché du travail, en supprimant le CDI, le CDD et les missions d’intérim pour créer un seul et unique contrat de travail. L’idée sous-jacente est que le CDI, trop protecteur du salarié, porte en lui les maux du marché du travail : il entrave la liquidité de ce marché en rendant compliqué la sortie du salarié du marché du travail. Selon les libéraux, il empêche de ce fait le marché de se réguler correctement, et n’incite pas les entreprises à embaucher. Ces dernières sont trop effrayées de devoir embaucher un salarié si elles ne peuvent pas le licencier par la suite. Car vous ne le saviez peut-être pas, mais un salarié est embauché pour être viré par la suite. Tous les patrons vous le diront : « oui, j’ai embauché Michel au poste de fraiseur pour pouvoir le virer dans six mois. C’est mon petit plaisir à moi. Que voulez-vous, il faut bien s’amuser dans ce bas monde ! ». Le CDI serait donc responsable en partie du chômage structurel que connaît la France depuis… 2008 et le début de la Grande Récession ? 1983 et le tournant de la rigueur des socialistes ? 1973 et le premier choc pétrolier ? Je ne me rappelle plus vraiment…Enfin, cela fait très longtemps en tout cas !

Cette proposition fait donc appel au « bon sens », qui n’est bon que s’il est de droite : c’est une mesure d’égalité, vous comprenez, il faut que ces nantis de « CDistes » arrêtent d’entraver l’accès au marché de ces pauvres « CDdéistes ». Des protections d’accord, mais de là à avoir un Code du Travail…

Top 3 des bonnes raisons d’être pour le contrat unique !

Selon le site Atlantico, il y aurait trois bonnes raisons d’être en faveur du CUT (on remarquera que « cut », en anglais, signifie couper ou trancher ; comme par exemple couper les protections du salarié, couper dans les dépenses publiques, trancher les acquis sociaux des Français, etc.) Tout d’abord, le CDD est un contrat précaire, qui créé bien souvent des citoyens de seconde zone, moins bien armés face au marché du travail. Sur ce point, nous sommes d’accord. Mais alors, pourquoi ne pas limiter fortement les contrats précaires et faire du CDI la norme ? Mystère et boule de gomme…

La deuxième raison, c’est qu’un contrat unique permettrait de licencier plus facilement, pour embaucher plus. Licencier plus, pour embaucher plus ! Ceci explique sans doute pourquoi les partisans du CUT se refusent à faire du CDI la norme : ils comptent bien sucrer les droits qui y sont affiliés, notamment la justification de licenciement, qui doit constituer une cause réelle et sérieuse. Mais M. Denis Jacquet, signant un article sur le site-web Atlantico1, nous le promet2 : « La vérité, c’est que si l’on donne à nous, entrepreneurs, un contrat unique, permettant de débaucher facilement en cas de difficulté, alors, oui, nous nous y engageons, nous embaucherons plus et plus vite. Sans hésitation ». Bravo Denis ! Quel courage !

La troisième raison, et sans aucun doute la plus importante, c’est qu’il faut oser. Tout simplement. Car toujours selon M. Jacquet, « la complexité en toute chose est l’ennemie du progrès ». Il faut donc simplifier. Je vous l’accorde, pour bon nombre de libéraux, simplifier est synonyme de régression sociale. Mais la stagnation n’est pas une bonne chose, il faut bouger, innover, entreprendre, quitte à faire n’importe quoi. Mais peu importe, puisqu’on O-S-E !

Un marché du travail français déjà très flexible.

Le contrat unique serait donc une mesure d’égalité, de progrès, de simplification. Je dois avouer qu’une mesure qui commence par monter les travailleurs les uns contre les autres, c’est déjà suspect. Cela inspire une certaine méfiance. Mais une mesure « d’égalité » qui s’accompagne de la suppression de la plupart des protections pour le salarié et propose de substituer la justification du licenciement -obligatoire pour les pays ayant ratifié la convention de l’Organisation internationale du travail, dont la France- à une taxe sur les licenciements, c’est qu’il y a anguille sous roche. Ou devrais-je dire il y a « libéral sous socialiste ».

La rhétorique libérale est connue, tentons maintenant de la déconstruire et de laisser éclater la vérité au grand jour. Non, le contrat unique n’est pas une mesure d’égalité, oui, c’est un charcutage en règle des droits des travailleurs ! Répétez tous avec moi maintenant. Voilà. Encore une fois. Ça fait du bien n’est-ce pas ?

En premier lieu, il serait bon d’extraire du crâne des libéraux que le marché du travail français est déjà… flexible. Oui, vous avez bien lu. Prenez la période d’essai. L’employeur peut se séparer d’un salarié sans avoir à fournir de motif et sans avoir de préavis à respecter, et ce pendant une période de six mois, renouvelable une fois. Une épée de Damoclès suspendue pendant une année au-dessus de tous les salariés en CDI. Le feu contrat nouvelle embauche (CNE) de M. Dominique de Villepin avait même poussé le vice en proposant une période d’essai de deux ans. Sacré Dominique ! On pourrait ainsi cumuler plusieurs périodes d’essai comme on cumule plusieurs CDD à La Poste.

En termes de flexibilité, on peut aussi penser à la rupture conventionnelle. Une bien belle idée, issue de l’imagination féconde de notre ancien président M. Nicolas Sarkozy. Au lieu de payer des indemnités en licenciant un salarié pour un quelconque motif, essayons plutôt de le persuader que lui aussi a envie de quitter sa boîte, de son propre-chef, et donc en réduisant un peu plus les indemnités qu’il aurait normalement dû toucher… Habile ! La rupture conventionnelle est devenue la principale alternative aux licenciements « classique ». La volonté du salarié doit être expressément signalée selon la Cour de Cassation. Mais entre volonté libre et volonté un peu forcée, il n’y a qu’un pas… souvent franchi. Mais nous ne sommes pas là pour parler philosophie. Les abus deviennent la norme, le nombre de dossiers ne cesse de s’accumuler sur les bureaux des prud’hommes. Quels enquiquineurs ceux-là d’ailleurs ! Heureusement que la « loi pour l’activité » de M. Emmanuel Macron est là pour diminuer les pouvoir des tribunaux prudhommales. Ouf.

Mais à quoi bon flexibiliser le salariat, quand on peut l’abolir ? Les marxistes de tout poil en ont rêvé, les capitalistes vont le faire pour eux. En France, les auto-entrepreneurs sont progressivement en train de devenir les nouveaux super-précaires du marché du travail. Pas de cotisations patronales, pas de licenciement, pas d’embauche, pas d’inspection du travail, pas de médecine du travail… Le rêve ! Cette nouvelle catégorie de prolétaires, introduite par M. Sarkozy durant son quinquennat, tend à remplacer peu à peu les salariés rattachés au Code du Travail. Et on les retrouve dans des professions aussi inattendues que le secteur culturel, ou le monde de l’enseignement. Ainsi, de plus en plus d’écoles de français langue étrangère (FLE) sous-traitent leurs cours à des professeurs de FLE, à condition qu’ils adoptent le statut d’auto-entrepreneur. En principe, cette contrainte est interdite par la loi. Mais, entre nous, qui va aller vérifier que la loi est correctement respectée, à l’heure où le nombre d’inspecteurs du travail diminue ?

Enfin, il serait bon de rappeler que si dualité du marché du travail il y a, elle ne résulte pas de la coupure CDI/CDD, mais plutôt de forces sous-jacentes au marché lui-même. Comme l’explique M. Philippe Askenazy, chercheur au CNRS et à l’Ecole d’économie de Paris, cette dualité se retrouve dans quasiment tous les marchés du travail des pays développés, qu’il s’agisse de la France ou des pays anglo-saxons. Or, aux Etats-Unis comme au Royaume-Uni, il n’existe pas de telle coupure entre les contrats comme en France. Cependant, la dualité entre emplois stables et protecteurs, et emplois précaires existe bel et bien. Ah. Se tromperait-on de cible en voulant instituer un contrat unique ?

Refaire du CDI la norme.

Mais alors, que faire ? Car il existe bien une dualité au sein du marché du travail, qui ne cesse de se renforcer depuis plusieurs années. Les emplois précaires sont de plus en plus nombreux, et la part de nouvelles embauches en CDD a atteint plus de 84% en 2014. Le temps partiel subit touche aussi davantage de personnes qu’auparavant -en particulier les femmes. Les conditions de travail se dégradent pour l’ensemble des travailleurs, les salaires réels diminuent depuis le début de la crise, et plus de cinq millions de Français sont actuellement sans-emploi.

Alors, la faute au CDI ? Non bien sûr. Au contraire, il faut refaire du CDI la norme pour le contrat de travail, et limiter fortement la part des contrats précaires dans l’entreprise. Sortons du mythe qui veut que la flexibilité (la précarité, je traduis pour vous) donne pour résultat une baisse du chômage. Une hausse de la flexibilité dans le marché du travail n’entraîne que la dégradation des conditions de travail pour les travailleurs. Et c’est tout. On peut toujours regarder vers l’Allemagne et ses supers « mini-jobs » à 400 euros par mois, ou vers le Royaume-Uni et ses contrats « zéro heure » où les travailleurs ne savent pas combien d’heures ils vont devoir travailler dans la semaine… Une heure ? Cinq heures ? Trente-cinq heures ? Rien ? Nous pouvons faire de la France un pays de pauvres, et nos gouvernants sont sur le point de réaliser ce sinistre cauchemar. Mais nous pouvons aussi prendre notre destin en main, et agir pour que notre travail retrouve un sens, soit respecté et payé au juste prix. C’est un Droit Humain que de pouvoir vivre dignement de son travail. Et c’est un droit non négociable.

Alors, CDistes et CDdéistes de tous les pays, unissez-vous !

 

Léon Bannier

  1. Denis Jacquet, entrepreneur, investisseur (sic) et délégué entreprise du Parti Libéral Démocrate. Denis, tu nous donnes des frissons.
  2.  Voir l’entretien de M. Denis Jacquet sur le site Atlantico

2 Commentaires le Le contrat unique de travail : un petit pas pour le gouvernement, un bond de géant pour les libéraux !

  1. Merci Danielle :) Faute de frappe corrigée !

  2. excellent cet article ! pleins d’arguments ! Bon, faut corriger la faute de frappe à la fin : « il faut prendre notre destin en main » et non « pendre notre destin » :-)

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