Le dialogue social pour le gouvernement ? Un monologue patronal !

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Gérard Menvussa, inspecteur du travail et membre de la commission économie du PG, explique en détail la nouvelle attaque de Macron contre le dialogue social et la négociation collective. Le droit à la représentation des salariés dans l’entreprise est attaqué. Loi après loi, ce gouvernement de liquidation des droits sociaux brise la capacité de résistance des élus salariés et militants syndicaux.

Le rythme frénétique de la destruction des droits conquis par le salariat ne faiblit pas. A peine la Loi dite « Macron » imposée par le 49.3, qu’une nouvelle phase de destruction est programmée et présentée par Matignon dès le 25 février1.

Le gouvernement a prévu d’aller vite : présentation fin mars ou début avril en conseil des ministres, débat au parlement dans la foulée et adoption définitive pendant l’été.

Cela concerne, cette fois, le droit à la représentation des salariés dans l’entreprise. A l’heure actuelle, seules les grandes lignes du projet sont connues. Le premier principe consisterait à « simplifier pour rendre au dialogue social toute sa vitalité ». Cette simplification consiste à :

  • réduire le droit à information et consultation du CE de 17 obligations à 3
  • réduire l’obligation de négociation (réduction de la fréquence)
  • réduire les prérogatives des comités d’établissement (au niveau local) si l’information a été faite au niveau national (CCE).

La logique qui sous-tend ces projets est que ce qui fait obstacle à la négociation collective, ce sont justement les moyens qui sont donnés aux représentants du personnel pour la mettre en œuvre. En effet, le législateur, constatant l’absence d’initiative de la part du patronat en matière de négociation, a souhaité jusqu’à présent formaliser les obligations de négociations sur des sujets considérés comme plus important que d’autres (salaire, réduction des inégalités entre les sexes, conditions de travail, GPEC, travailleurs handicapées, formation professionnelle, classifications,…). Précisons qu’aucune contrainte ne pèse sur les employeurs pour aboutir. Il existe seulement une obligation de moyens et non de résultats.

Or, pour soi-disant « rendre au dialogue social toute sa vitalité », le gouvernement veut affaiblir cette obligation de moyens. Seraient également grandement affaiblis les moyens d’accès à l’information donnés aux élus (CE/CCE). Or, la diffusion de ces informations constitue parfois un canal par lequel les élus peuvent anticiper ou être alertés de projets néfastes qu’envisagent les patrons. Il est également prévu d’éloigner le lieu de l’information/consultation du lieu où l’objet de cette consultation produira des effets. Or, la résistance collective et syndicale est d’autant plus forte qu’elle est prise en charge par les premiers concernés.

Le deuxième principe consiste à élargir le champ d’action de la délégation unique du personnel (DUP), qui ne concerne actuellement que le CE et les DP, jusqu’au entreprises comptant 300 salariés (ETP) et d’y intégrer le CHSCT. Il est également prévu par voie d’accord de fusionner les trois instances (la DUP n’étant, en principe qu’un mode d’élection, les différentes instances conservant leurs prérogatives respectives) dans les entreprises de plus de 300 salariés.

Cette proposition fait écho à celle de Nicolas Sarkozy lors de la campagne des présidentielles en 2012. Le candidat de l’UMP y déclarait : « Quand on passe de 49 à 50 salariés, tout d’un coup il faut avoir un délégué du personnel, un comité d’entreprise, un comité d’hygiène et de sécurité. Je propose de fusionner ces trois instances de représentation du personnel dans les entreprises de 50 à 300 salariés en une seule instance. »

La DUP avait déjà pour effet d’affaiblir la représentation du personnel. L’élargissement au CHSCT, le passage à 300 et la fusion approfondissent cet affaiblissement.

En effet, on observe en matière de DUP (telle qu’elle existe actuellement), qu’en pratique, les salariés exerçant ces mandats (ils sont élus en une fois mais ont les deux mandats) confondent souvent les prérogatives de chacune des instances. Les élus du personnel (pas toujours syndiqués, loin s’en faut) sont très rarement formés. Exercer l’ensemble des prérogatives attachées à un seul mandat est déjà compliqué. En plus, cela accentue le cumul des mandats, déjà très développé. Cela peut contribuer à stigmatiser les salariés qui se consacrent à ces mandats en les coupant potentiellement de la collectivité de travail. De plus, dans les faits, on constate pour les DUP, alors que les employeurs ont l’obligation d’organiser des réunions séparés, que, bien souvent, tout est mélangé compliquant l’utilisation adaptée de tels ou tels dispositifs légaux mobilisables pour le cas à traiter.

En face, les directions des entreprises bénéficient de moyens conséquents pour exercer un pouvoir collégial (conseil d’administration à jeton de présence, société à directoire à effectif pléthorique) et parallèlement les contre-pouvoirs des travailleurs sont affaiblis. 

Un élu est d’abord un salarié, qui doit concilier son activité professionnelle avec son mandat. L’immense majorité des élus n’ont aucune formation juridique et doivent tout apprendre sur le tas. Si le code du Travail est sans doute plus compréhensible côté salariés que côté patrons, il y a tout de même une somme conséquente d’informations à assimiler. Fusionner les instances revient à charger la barque et décourager les initiatives. Le principal intérêt pour l’employeur de cette mesure est d’avoir moins de salariés titulaires d’un mandat (donc, entre autres, moins de salariés sur lesquels s’exerce un contrôle de l’inspecteur du travail sur les éventuelles mesures de licenciement dont il serait victime), moins d’heures de délégation, moins d’élections à organiser, moins d’expertise indépendante à financer…

Le troisième principe consiste à « permettre aux salariés de bénéficier d’une forme de représentation ». Le comble du cynisme est atteint dans ce passage. Cette représentation prendra la forme d’une commission de 10 employeurs et de 10 salariés. C’est-à-dire que des employeurs seront élus pour représenter les salariés. Cela semble aberrant, mais la communication du gouvernement ne porte que sur la représentation des salariés. Ensuite, cette commission est régionale (au sens du nouveau découpage administratif), c’est-à-dire qu’il y aura 13 commissions pour toute la France. Ces 10 salariés et employeurs auront à répondre aux questions que se posent les salariés et les employeurs sur l’application du droit du travail, l’emploi et la formation. Compte tenu du nombre d’entreprises de petites tailles, la tâche de ces commissions est potentiellement démesurée sous réserve qu’elle ait la moindre utilité. En soi, diffuser de l’information est toujours utile mais pourquoi dans ce cas-là ne pas renforcer les services de l’Etat en charge de ces missions ? Pourquoi ne pas soutenir les organisations syndicales qui remplissent ces missions (en prenant des mesures contre les expulsions des syndicats de différentes bourses du Travail à Toulouse, Villejuif, au Blanc Mesnil, Aubagne, Châteauroux, …) ?

Enfin, la présentation de ce principe se conclu par cette phrase : « Elles [ces commissions] n’auront évidemment aucun droit d’ingérence dans la marche de ces entreprises, mais permettront aux salariés de très petites entreprises de bénéficier, eux aussi, d’une forme de représentation ». Après avoir détruit les prérogatives des élus qui pouvaient, notamment grâce à différents outils juridiques, conquis de haute lutte, s’opposer parfois à la toute-puissance patronale, on accorde un ersatz de représentation, qui n’a comme finalité que la représentation en elle-même. Ce doit être ce que ce gouvernement considère être un accord « équilibré », « gagnant-gagnant », obtenu grâce à « un dialogue social de qualité ». Ça promet.

Et encore il ne s’agit là que des grandes lignes. Le diable se cachant dans les détails, la vigilance sera de mise lors de la diffusion du projet précis. Défendre les outils de résistance collective des salariés est vitale mais cette nécessité n’apparait pas nécessairement de manière spontanée à l’ensemble des travailleurs. Et pourtant, lorsque la situation l’exige, l’intervention d’un élu, d’un militant syndical efficace et formé, l’organisation de la lutte, des résistances nécessaires, par ces militants, peut en changer l’issue dans un sens beaucoup plus favorable aux travailleurs

C’est à cette capacité de résistance à laquelle s’attaque ce gouvernement de liquidation des droits sociaux. Cela passe à la fois par l’affaiblissement de la situation individuelle des travailleurs (généralisation du travail de nuit, le dimanche, individualisation de la relation de travail) et par la destruction des outils collectifs de lutte.  

Gérard Menvussa est inspecteur du travail et membre de la Commission économie du PG.

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