Comment financer le développement après 2015 ? L’autre enjeu économique mondial de cette semaine.
Alors que les regards européens sont tournés vers la Grèce et l’Eurogroup, pour la plupart des pays du monde cette semaine les négociations les plus importantes ont lieu à Addis Abeba. La capitale éthiopienne reçoit les délégations de tous les pays du monde pour décider d’une question fondamentale : comment financer le développement après 2015 ?
2015, l’année la plus importante pour les politiques de développement
L’année 2015 est sans doute l’une des années les plus importantes pour la gouvernance mondiale, les organisations multilatérales, et plus largement pour le développement. Si on entend de plus en plus parler de la conférence sur le Climat qui aura lieu en décembre à Paris, la fameuse « COP21 », deux autres conférences mondiales de très grande importance passent inaperçues : la conférence relative à l’ « Agenda Post-2015 », qui aura lieu en septembre à New York, et celle relative à son financement, qui a débuté lundi 13 juillet.
L’Agenda post-2015, sur lequel planchent à la fois les organisations multilatérales et les diplomates chargés des questions de développement depuis maintenant plusieurs années, est sensé prendre le relai des « Objectifs du millénaire pour le développement ». Ces objectifs avaient été adoptés en 2000, et donnaient ainsi un cap aux divers acteurs du développement, des Etats des pays en développement aux agences multilatérales (PNUD ; CNUCED ; OIT etc.). Huit objectifs avaient ainsi été adoptés, tels qu’ « Eliminer l’extrême pauvreté et de la faim » (Objectif 1), « Assurer l’éducation primaire pour tous » (Objectif 2), ou encore par exemple « Promouvoir l’égalité des sexes et l’autonomisation des femmes » (Objectif 3).
Les objectifs du millénaire n’ont pas été atteints. Si des progressions importantes ont pu être mesurées sur certains objectifs comme la scolarisation primaire ou la réduction de l’extrême pauvreté, il est évident que personne ne peut se satisfaire des avancées réalisées. Car à côté de cet « agenda » onusien sur lequel une quantité d’experts se mobilisent, la volonté et les efforts des pays développés restent minimes. L’incapacité des institutions multilatérales à prévenir et gérer les crises – souvent elle même due à un manque de volonté politique des Etats -, y est pour beaucoup, qu’elles soient de santé publique comme Ebola ou politiques comme en Syrie. Elle plonge ainsi des millions de personnes dans des situations de grande précarité
Après-2015, des « objectifs pour le développement durable »
Désormais, les diplomates et experts onusiens planchent donc sur les objectifs à suivre après 2015, les « Objectifs pour le développement durable ». Sensés avoir suivi les leçons des Objectifs pour le millénaire, ce nouvel agenda, qui sera voté à New York en Septembre, se veut donc plus général et de long terme. Contrairement aux objectifs précédents, il est ainsi sensé proposer un cadre plus global, avec une visée « durable ».
Si ces objectifs sont encore débattus, et donc encore incertains, le processus a déjà permis de mettre sur la table de nombreux points. Avec certains objectifs très proches des précédents, on retrouve ainsi au total dans le projet actuel 17 objectifs, dont la réduction des inégalités, la recherche d’une croissance durable, la préservation des écosystèmes, ou encore « instaurer des modes de consommation et de production soutenables ». Ces objectifs sont ainsi pour la plupart tout à fait louables, mais dans quelle mesure sont-ils réalistes ?
Derrière ces objectifs lisses et dépolitisés, il est très difficile de trouver des vrais moyens et de véritables ambitions. Depuis le début de la crise financière, les pays développés rivalisent ainsi d’explication pour justifier les baisses de financement. Pour cette raison, les diplomates onusiens et les pays ont développement ont fait en sorte d’organiser la conférence visant à déterminer les financements accordés à l’agenda post-2015 avant celle de New York, afin de pousser les pays développés à s’engager fermement. Mais le résultat n’est pas là et, principalement en raison de l’opposition des Etats-Unis, les délégués ne débutent pas la conférence d’Addis Abeba sur un texte consensuel. Il ne reste ainsi qu’une semaine pour que l’ensemble des pays trouve un accord.
A Addis Abeba, Financer le développement ?
L’objectif de la conférence est donc très ambitieux et a une importance cruciale : s’engager sur les modalités du financement de l’agenda post-2015. Un document intermédiaire de 31 pages est donc aujourd’hui disponible[1], en attendant qu’un accord soit potentiellement trouvé. On y retrouve l’ensemble des questions relatives au financement du développement, s’agissant aussi bien des modalités d’emprunts et de gestion des dettes publiques, de l’engagement des pays développés en ce qui concerne l’aide au développement, mais aussi par exemple des ressources domestiques des Etats des pays en développement, autrement dit du rôle et des modalités de la fiscalité dans le financement des politiques publiques.
Ces points qui peuvent paraître assez consensuels sont en réalités l’objet de violentes négociations qui opposent la plupart du temps les pays développés aux pays en développement. Plus précisément, on trouve très généralement le groupe du G77 (rassemblant désormais 134 pays émergents ou en développement), qui insiste sur le rôle de l’aide extérieure et l’obtention de facilités de financements, en opposition avec le groupe formé par les USA, le Canada et le Japon ; l’Union Européenne ayant rarement une position aussi extrême que celle des Etats-Unis. Ces derniers freinent ainsi systématiquement les avancées du G77 afin de réduire au maximum leurs engagements politiques et financiers dans le processus. Disposant du plus grand nombre d’experts, ils exercent ainsi un pouvoir hégémonique sur les négociations, pouvoir qu’ils utilisent pour revenir systématiquement sur la moindre avancée des pays en développement dans les négociations. Un exemple simple ? Les Etats-Unis ont réussi au cours des négociations de la semaine dernière à faire ajouter au texte – on ne sait vraiment comment ni à quelle occasion – une clause mentionnant que le texte n’aurait pas valeur d’engagement..
Mais la véritable difficulté des pays du G77 est de pouvoir faire de ces processus un moyen de faire émerger d’autres modèles de développement. Car les agendas onusiens ont généralement un point commun : le conformisme intellectuel et la mise à l’écart des enjeux clé de l’économie politique internationale. Aucun véritable espace n’est ainsi laissé pour aborder la structure internationale des inégalités, le chômage de masse que les jeunes subissent (par exemple en Afrique ou au Moyen-Orient), ou plus largement l’incapacité de la majorité des pays à faire émerger des Etats solides, capables de mener des politiques publiques ambitieuses. Et pourtant, à quoi bon chercher à agir sur le terrorisme ou l’immigration lorsque la probabilité de trouver un emploi pour les jeunes tunisiens ou libyens est infime ? A quoi bon chercher à endiguer l’épidémie d’Ebola lorsque l’on sait que les coupes budgétaires imposées par le FMI dans les systèmes publics de santé les ont énormément fragilisé, au point d’être l’une des principales raisons de l’incapacité de la Guinée par exemple, à contenir la maladie ?
Malgré le peu de couverture médiatique, ces types de processus et d’engagements internationaux ne doivent pas être considérés comme lointains et sans grand intérêt. Les inégalités, prises au niveau mondial, tout comme le refus des pays développés de partager les richesses globales, sont sans doute responsables de la grande majorité des véritables défis du XXIème siècle; et les premières victimes des politiques néolibérales mises en place dans les pays développés sont souvent dans les pays en développement. Comme il est important de se battre contre la libéralisation massive de l’ensemble des secteurs économiques en France et en Europe, il est fondamental de mettre en place des mécanismes internationaux de régulation de la sphère économique afin de réellement orienter celle-ci vers le développement durable. Un exemple évident du lien avec les enjeux politiques nationaux est celui du protectionnisme solidaire; via lequel la commission économie du PG souhaite à la fois mieux réguler les transformations économiques en France et en Europe, mais aussi promouvoir de meilleures normes sociales dans les pays où le coût de la main d’œuvre est très faible, et ainsi étendre nos conquêtes sociales.
Pour rappel, en 2013, l’Aide au Publique au Développement (APD) des pays de l’OCDE s’est élevée à 135 milliards de dollars. Soit 0,3% du revenu national brut. Un chiffre qu’il faudrait pouvoir mettre en perspective avec l’exploitation, historique – via la colonisation – mais toujours quotidienne, des ressources et de la main d’œuvre des pays en développement par les États et les entreprises multinationales des pays développés; par laquelle les richesses ont sans cesse été transférées du sud vers le nord; et sans laquelle les niveaux de vie actuels au nord n’auraient jamais pu être atteints. Si seulement une estimation de cette envergure était possible..
[1] http://www.un.org/esa/ffd/ffd3/wp-content/uploads/sites/2/2015/07/Addis-Ababa-Action-Agenda-Draft-Outcome-Document-7-July-2015.pdf
Quentin Brunaud,
Commission économie du PG
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