Stop à l’enfumage libéral : les salaires français en 2012 et 2013 ont bien baissé !
Comme chaque année l'Insee publie une note retraçant l'évolution des salaires pour l'année N-2 dans le secteur privé et les entreprises publiques. Ainsi, la note N°1565 Insee Première de septembre 2015 retrace l'évolution pour 2013, comme la N°1528 de décembre 2014 retraçait l'évolution pour 2012. Ces notes sont établies à partir des «DADS», c'est à dire des déclarations, par les entreprises, des rémunérations effectivement versées à leurs salariés. Elles reflètent donc la stricte réalité.
Il s'avère que le salaire moyen net réel, c'est à dire inflation déduite, a baissé de -0,3 % en 2013. Il avait aussi baissé en 2012 de -0,4 % pour la première fois depuis longtemps. Deux années consécutives de baisse donc.
La plus grande partie des médias avaient pourtant prétendu le contraire : les salaires 2012 augmentaient fortement, et de même pour 2013. Ces médias confondaient au passage le salaire net réel avec le salaire dit de base ou les augmentations des salariés stables en place chez le même employeur (qui ne représentent que la moitié des salariés).
A partir de ce postulat d’augmentation forte des salaires, ils vilipendaient « l’exception française », la « préférence des français pour le chômage » et rendaient les salariés français responsables de l’augmentation du chômage, voire de la crise elle même, du fait des augmentations de salaires « insensées » dont les salariés français bénéficiaient.
Dans ce concert, le quotidien Le Monde s’est particulièrement distingué. Ainsi dans un article en date du 6 septembre 2012 : « Les salaires du privé ne connaissent pas trop la crise » on lit en effet : « Les salaires du privé devraient augmenter en moyenne de 2,8 % en 2012 et de 2,9 % en 2013. …Compte tenu de l’inflation (de l’ordre de 2,1 % en 2012) les salaires du privé augmenteraient de 0,7 % en termes réels cette année…. » Et pour 2013, le Monde publie le 13 décembre un article intitulé « Salaires : l’exception française » dans lequel le journal critique « l’absence de réactivité des salaires à la crise », en se servant abondamment des textes du COE Rexecode (l’Institut du Medef) pour étayer ses dires.
Aucune mise au point ou excuse auprès des lecteurs n’a été observé depuis la parution des notes de l’Insee. Mieux, le journal Les Echos, par exemple, n’a pas jugé bon de commenter la note de décembre 14, « trop tardive » à ses yeux, comme raison officielle, mais surtout, bien différente de ses dires ou de ses articles. A ce jour Les Echos n’ont d’ailleurs pas encore parlé de la note sur les salaires 2013.
Si de nombreux médias ont bien cité la récente publication de l’Insee, aucun ne s’est pour autant préoccupé de la contradiction avec ses propos habituels sur le sujet. Un économiste bancaire libéral bien connu, Patrick Artus, déduisait, du fait « inquiétant » que les salaires continuaient à progresser malgré la crise que « les salaires français étaient les plus rigides de la zone euro » ( Le Monde 13/12/2013) ou « France : le dernier pays communiste » ( Le Point 28/08/2013).
Plus grave, une étude du CAE, Conseil d’Analyse Economique (N°5 d’avril 2013) organisme d’ « experts économiques » placé auprès du 1° ministre, n’observant pas « d’inflexion du salaire réel net moyen pour les salariés du secteur privé » en tirait la conclusion qu’il fallait flexibiliser le marché du travail et adosser clairement le financement de la protection sociale à une base fiscale. Pour s’interroger sur la pertinence de cette étude CAE, la note Insee d’octobre 2013 sur l’évolution des salaires 2011 titrait : « En 2011, les salaires ralentissent de nouveau en euros constants ».
Evidemment le gouvernement, conforté, s’était empressé de continuer son action néo-libérale.
Un effet de « structure » joue de façon importante sur l’évolution en hausse du salaire moyen. Au delà de l’augmentation naturelle du nombre de cadres et de la baisse naturelle du nombre d’ouvriers, pour une entreprise donnée, les ouvriers et employés sont plus touchés que les cadres, quand il y a des licenciements. En conséquence, alors même que sa masse salariale diminue, le salaire moyen de l’entreprise augmente. C’est un aspect bien connu des syndicalistes. Et dans la période de crise, les licenciements sont fort nombreux.
Or le CAE indiquait que cet effet de « composition » ne représentait qu’un quart de la progression. Mais une étude de la Banque de France ( 2° trimestre 2013 N°192) montrait, au contraire, que « les changements de composition de la population active expliquait la totalité de la hausse de 2 % des salaires réels après 2008 »
Les publications de l’Insee de décembre 2014 sur l’évolution des salaires 2012 et de septembre 2015 sur l’évolution des salaires 2013 étudient cet aspect et montrent bien que c’est la quasi intégralité de la progression du salaire réel qui est imputable aux effets de structure, infirmant ainsi les allégations du CAE et ridiculisant les propos des médias quant à la hausse des salaires en France et ses conséquences supposées.
Ce qui est particulièrement intéressant ici est de voir la formation de la «pensée unique». Aucune excuse, aucune mise au point, auprès des lecteurs ou auditeurs, sur les propos tenus antérieurement et démentis en tout ou partie par des statistiques réelles. Même au contraire, on « oublie » ces statistiques et ces études sérieuses, et même incontestables, dès lors qu’elles ne vont pas dans le sens voulu. On ne craint pas de faire reposer toute une argumentation sur des éléments inexacts ou faussés. On n’informe surtout pas le public des réalités concrètes qui mettraient en péril leurs thèses libérales.
Vous avez dit enfumage ?
Pierre Mascomère, Actuaire statisticien
Laisser un commentaire