Le cas d’une sortie ordonnée de l’union monétaire au sein de l’UE
Extrait traduit du rapport de Heiner Flassbeck et Costas Lapavitsas "The systemic crisis of the euro, true causes and effective therapies"
Chypre fut le premier cas d’un pays membre de la zone euro privé de la convertibilité généralement admise à l'intérieur de la zone. Des restrictions sur les mouvements de capitaux furent imposées par les autorités Chypriotes, en accord avec la troïka. L’union monétaire a donc effectivement cessé d'exister comme une entité unique dans la mesure où elle ne respecte plus pleinement ses obligations monétaires. En outre, le choc infligé à Chypre et le fait d’imposer au pays l'obligation de renoncer à sa stratégie économique nationale, pratiquement du jour au lendemain, a conduit à de profondes préoccupations concernant l'avenir de Chypre à l'intérieur de la zone euro. Pour la première fois dans l'histoire de la crise européenne, les citoyens ont été choqués à un point tel qu'il n’est désormais plus tabou de parler de sortie de l'union monétaire. En effet, dans la mesure où les coûts économiques de l'adhésion s’accroissent tandis que les avantages s’effondrent, plusieurs pays se doivent désormais de considérer l'option de la sortie.
Il n’y a cependant pas de solution facile pour une sortie d’une union monétaire telle que l’UEM. Il est plus aisé de dévaluer une monnaie déjà en circulation et de briser sa convertibilité fixe par rapport à une autre monnaie, comme ce fut le cas de l’Argentine en 2002, que de répondre aux défis logistiques et politiques énormes que poserait l’introduction d’une nouvelle monnaie. Le plus gros problème, et de loin, étant de sensibiliser et de préparer la population à une telle initiative. Il serait extrêmement difficile de garder secret la préparation d’un plan de sortie, ou de le faire exécuter du jour au lendemain, quand bien même certaines actions devraient être prises rapidement.
Dans le cas d’une sortie de l’euro, la crainte de perdre une partie de leur épargne inciterait les déposants à retirer leurs dépôts des banques nationales et à les transférer à l’étranger. Le résultat serait une panique bancaire qui menacerait d’effondrement le système financier. Pour éviter un tel effondrement du système bancaire, il serait nécessaire d’imposer des contrôles administratifs sévères sur les banques ainsi que des contrôles sur les flux de capitaux. Si l’on considère le cas chypriote, la troïka a toutefois déjà imposé d’énormes pertes sur les déposants des deux plus grandes banques, ainsi que des restrictions sur les opérations bancaires et les flux de capitaux. L’impact sur la population est donc déjà proche de celui d’une sortie totale de la zone euro.
En plus du choc immédiat et de la nécessité d’imposer des contrôles sur les flux bancaires et de capitaux, la sortie de l’euro créerait des problèmes de circulation monétaire, d’autant plus que les billets prennent du temps à être imprimés. La monnaie électronique pourrait être convertie rapidement, en fonction de la loi régissant les contrats particuliers. Cependant, il serait probablement nécessaire pour l’Etat de faciliter la monnaie fiduciaire à circulation locale – des reconnaissances de dette (I.O.U.) de différentes sortes, souvent émises par les autorités locales – pour répondre aux besoins de liquidités jusqu’à ce que la nouvelle monnaie soit fermement en place. Pendant quelque temps, il y aurait des turbulences monétaires et des systèmes parallèles de prix en fonctionnement.
Cependant, le plus complexe techniquement serait de trouver un nouveau régime de change externe (Forex) viable. La nouvelle monnaie pourrait être introduite à un taux administratif de 1 : 1 à l’euro, mais il serait évidemment déprécié rapidement sur les marchés des changes. Pour un petit pays comme Chypre, qui dépend essentiellement des importations, l’ampleur de la dévaluation de la nouvelle monnaie nationale serait crucial. Si la nouvelle monnaie était entièrement laissée au marché, il y aurait un risque significatif d’une baisse de sa valeur qui irait bien au-delà de ce qui serait justifié pour restaurer la compétitivité des exportations du pays. Une telle dévaluation causerait des contraintes sur le plan des importations qui seraient difficilement supportables. La perspective d’avoir à faire appel au FMI, peu de temps après que la troïka ait perdu le contrôle du pays, serait un cauchemar. Mais cette perspective ne pourrait être exclue, tant les aléas de la sortie que l’incertitude quant à l’avenir du pays pourraient diminuer la demande pour sa monnaie de manière significative à court terme.
Pour empêcher une issue aussi mauvaise, il serait utile d’envisager un filet de sécurité fourni par d’autres pays de l’UE. Les pays qui envisageraient la sortie de l’UEM dans une situation similaire à celle de Chypre réfléchiraient ainsi à deux fois avant de quitter également l’UE. Maintenir l’adhésion à l’UE pourrait donc se révéler important dans la poursuite des liens avec le marché commun européen, et donc les avantages de l’accès aux marchés d’exportation une fois la compétitivité restaurée. L’UE a une obligation morale et pratique de se préparer à une telle situation, et d’offrir ainsi aux pays désireux de réaliser cette action d’envergure un cadre sûr. L’UE pourrait facilement fournir un filet de sécurité sous la forme d’un mécanisme monétaire relié à l’UEM. Il serait même possible de faire revivre les aspects du SME qui ont été pratiqués avant la création de l’UEM, et qui existent encore formellement. Le nouveau SME pourrait permettre aux pays d’arrimer leurs nouvelles monnaies à un taux raisonnable à l’euro, réduisant ainsi le risque de se transformer en « punching-ball » pour les marchés financiers internationaux. Une telle « sortie ordonnée » aiderait à préserver certaines des réalisations européennes et l’esprit de partenariat européen, sans pour autant enfermer les pays dans le carcan de l’UEM. La crise a en effet montré que l’UEM a tendance à détruire les relations amicales qui ont été construites entre les nations européennes au cours des cinq dernières décennies.
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