L’Oligopole bancaire mondial, conférence du 12 octobre 2015 à la Maison des Sciences économiques
Lundi 12 octobre 2015 s’est tenue à la Maison des Sciences économiques une conférence portant sur l’Oligopole bancaire mondial, sujet du livre de François Morin dont le titre est « l’Hydre mondiale ». Face à lui deux discutants Jézabel Couppey-Soubeyran, auteur de « Blabla banque, le discours de l’inaction » et maître de conférences à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, et Dominique Pilhon, professeur d'économie financière à l'université Paris-XIII .
Le livre de François Morin fait suite à un précédent intitulé « Le nouveau mur de l’argent ».
La thèse du conférencier est que dans un monde globalisé et vivant en multicrises, l’instabilité est la règle et les acteurs bancaires jouent un rôle déterminant dans cette instabilité. Ils en sont les principaux acteurs et les principaux bénéficiaires. Si ces acteurs ne sont pas mis au pas par une réorganisation ambitieuse du système financier mondial, si les Etats ne recouvrent pas leur souveraineté monétaire, il y aura une nouvelle crise financière encore plus dure que la précédente. Déjà plusieurs bulles sont à l’œuvre, celle des actions, celle des obligations et celle des dettes publiques.
Sa démonstration est convaincante. Elle s’articule autour de l’analyse et de la mesure de cet oligopole et de ses méthodes d’action.
L’oligopole bancaire mondial est constitué des 28 banques que le G 20 de Cannes de 2011 a désignées comme des banques systémiques et dont il a publié la liste via le Conseil de stabilité financière. Ce sont celles « dont la chute ou la faillite désordonnée, en raison de leur taille, de leur complexité et de leur interconnexion systémique serait la cause d’une perturbation importante du système financier dans son ensemble et de l’activité économique ». Les critères sont ainsi au nombre de trois : la taille, le degré d’interconnexion entre elles et le degré de concentration du marché. Deux autres critères ont été ajoutés par la suite : l’activité internationale et la complexité, cette dernière s’appréciant notamment par l’importance des produits dérivés.
Il ne retient pas les compagnies d’assurances dans son analyse car seules les banques ont la capacité de créer de la monnaie par l’acte de crédit.
Sur les 40 000 banques que compte le système financier mondial ces 28 banques systémiques sont essentiellement occidentales, 8 américaines (dont les 3 premières), 4 britanniques, 4 françaises, 1 allemande, 2 suisses, 2 espagnoles, 1 néerlandaise, 1 italienne, 1 suédoise, 3 japonaises et 1 chinoise. Le total de leur bilan s’élevait au 31/12/2012 à 50 341 milliards de dollars. L’auteur rapporte ce montant (un stock) à un autre stock, celui de la dette publique cumulée mondiale (200 Etats) soit 48 957 milliards de dollars (tableau 2 de son ouvrage) ! Le rapprochement des deux chiffres donne la mesure du rapport de force, nettement en faveur des banques systémiques capables de mobiliser des ressources financières énormes.
Il établit également un autre rapport totalement nouveau, celui des « encours notionnels des produits dérivés » (hors bilan) rapportés au montant du PIB. Les produits dérivés sont les assurances contre les variations des taux d’intérêt et des taux de change. La valeur notionnelle est la valeur qui est assurée par ces contrats. C’est un rapprochement inédit. Et les chiffres plus que surprenants. Les hors bilans des banques systémiques sont près de 15 fois supérieurs à leur bilan. Cette valeur est de 720 324 milliards de dollars et représente presque 10 fois le PIB mondial de 2012.1 De plus les 14 premières banques systémiques gèrent près de 90% des encours notionnels ! Et parmi elles 4 sont à l’origine de plus de 50% des transactions sur le marché des changes.
Cette concentration traduit le degré d’interdépendance des banques systémiques
Ces données n’avaient pas d’existence dans les années 80. L’origine de l’oligopole provient de la globalisation des marchés monétaires et financiers au cours de la décennie 90, et de la libéralisation des marchés des capitaux à l’échelle internationale.
Comment agit l’oligopole ? Par entente sur les prix des taux d’intérêt et des taux de change, les deux prix fondamentaux de la finance globalisée. Il n’y a pas de concurrence mais des ententes et le récent scandale sur le Libor dans lequel 18 banques sont impliquées en témoigne. Les banques sont les seules à proposer aux entreprises des contrats de produits dérivés permettant de s’assurer contre les risques que représentent les variations de prix des produits dits « sous jacents », comme le prix des matières premières ou les taux de change et 90% des produits dérivés sont relatifs aux taux de change et aux taux d’intérêt. Ce faisant elles se sont arrogé un pouvoir monétaire considérable.
Elles seules aujourd’hui, avec les banques centrales indépendantes créent et gèrent de la monnaie. La question monétaire est devenue un « bien privé ». Les Etats ne fixent plus les conditions monétaires de l’activité économique en gérant les taux de change et les taux d’intérêt. De ce fait le rapport de force est totalement inversé entre les Etats et les banques systémiques. Ces dernières peuvent faire peser leur emprise sur la conduite des politiques publiques économiques et sur la conduite des affaires.
L’auteur détaille les positions dominantes des banques systémiques sur plusieurs marchés fondamentaux de la finance globale : marché des changes, marchés interbancaires (Libor, Euribor et Tibor), marchés obligataires où se forment les taux d’intérêt et enfin les marchés financiers où se pratiquent les activités de trading qui constitue la nouvelle mine d’or des banques systémiques.
Une autre approche pour mesurer le caractère oligopolistique est de procéder à l’analyse institutionnelle « dans un domaine souvent ignoré par les régulateurs internationaux ou par les économistes quantitativistes ». Dans un tableau François Morin expose l’organisation interne de cinq institutions internationales, des organisations professionnelles destinées à défendre les intérêts collectifs du secteur bancaire. Sans surprise on y retrouve les banques systémiques dans les conseils d’administration et à leur présidence pour quatre d’entre elles. Ces cinq organisations sont la GFMA (Global financial markets association), l’IIF (Institut of international finance), l’AFME (Association for financial markets in Europe) et la CLS bank (Continuous linked settlement system bank). Le livre consacre un long développement à la description des missions de ces structures.
En conclusion de cette partie, le conférencier s’inscrit en faux contre l’idée que la situation économique serait liée à la mauvaise gestion des dépenses publiques alors qu’en réalité la crise financière (avec les banques systémiques à la manœuvre) est à l’origine de l’explosion du surendettement des Etats. On ne s’attaque pas aux causes du surendettement en pratiquant une politique d’austérité. Et l’impasse grecque illustre son propos. Au départ il y a l’action des grandes banques systémiques françaises et allemandes qui craignant que la dégradation de la note grecque ne retentisse sur leurs propres titres, ont préconisé, dès mai 2010, le plan de 110 milliards d’euros pour « éponger » les créances menaçant de devenir « toxiques » dans leurs bilans respectifs. La position de Schäuble est cohérente : le Grexit est la garantie qu’on ne paye qu’une fois, que les plans d’aide ne vont pas se multiplier. Mais les risques politiques sont élevés.
Quelles mesures préconise-t-il pour anticiper le scenario noir qu’il décrit ? C’est sur cette partie que les deux discutants ont trouvé son apport insuffisant. En effet l’enchainement présenté, à savoir défaut de paiement d’un Etat, éclatement des bulles, bankrun est pour lui quasiment certain. Pour François Morin, les banques aussi puissantes soient-elles sont incapables de se protéger contre elles-mêmes. Les tentatives de régulations opérées par les pouvoirs publics ont été contrées jusqu’à présent par les banques. Ainsi en est-il de la « séparation » des activités qui restent en réalité sous un le chapeau d’une même banque-mère et la séparation concerne des filiales représentant moins de 3% des activités. Les banques ont réussi à bloquer toutes les réformes. Or il faut une séparation stricte et patrimoniale des banques de dépôts et d’investissement.
C’est pourquoi il préconise des mesures à l’échelle internationale dont la finalité est le retour à la souveraineté des Etats par rapport aux taux d’intérêt et aux taux de change grâce à un contrôle des mouvements des capitaux les plus courts-termistes et en enrayant drastiquement l’expansion des produits dérivés. Ces mesures sont en deux temps :
- La réforme du système monétaire international, c’est la clé de voute :
- recours à une monnaie commune mondiale ou « bancor » (Cf. Keynes), malgré l’opposition des Etats-Unis ; avec un Institut d’émission démocratique et légitime ;
- puis réintroduction des changes fixes ;
- réduire les dettes souveraines :
- Politique de relance massive financée par des emprunts internationaux dans la nouvelle monnaie, notamment pour assurer la transition écologique,
- Emprunts pour racheter les actuelles dettes souveraines,
La discussion s’engage notamment sur le processus de démantèlement d’un oligopole ou de « déprivatisation » de la monnaie. Les discutants sont sceptiques sur l’impact de la séparation à l’aune des mesures Volker aux Etats-Unis. En revanche ils ouvrent d’autres pistes :
- Impact sur les usagers des banques et l’augmentation explosive des frais bancaires ;
- La concurrence bancaire est moins surveillée que la concurrence industrielle par les autorités compétentes ;
- Transformation du modèle bancaire qui ne finance plus l’économie, qui bénéficie de subventions implicites du fait de la protection de facto des Etats sans que cela n’alimente le fisc,
- Action des banques systémiques au regard de la fraude fiscale
- revoir la gouvernance des banques par l’association non seulement des actionnaires et des salariés mais aussi des usagers ;
- question du pôle bancaire public
- en finir avec l’indépendance des banques centrales.
François Morin est d’accord avec ces développements mais son propos était centré sur les acteurs et ne visait pas à soulever des problèmes plus larges. Il réaffirme son inquiétude sur la question de la dette publique et le risque d’éclatement de la bulle obligataire. Il rappelle qu’en période d’inflation les dettes étaient faibles. Il fait un bref rappel historique sur la fin des accords de Bretton-Woods et sur le processus qui, à partir de 1958, avec la création du marché des euro-dollars par la banque d’Angleterre, a contribué à changer la nature du marché des changes, auquel s’ajoute la guerre du Vietnam provoquant la fin de la convertibilité or du dollar en 1971, pour terminer sur les facteurs idéologiques portés par la société du Mont Pèlerin (créée le 10 avril 1947 lors d’une conférence organisée par Friedrich Hayek au Mont Pèlerin en Suisse).
Pour le conférencier, l’approche en termes de marchés n’est pas suffisante, il faut s’intéresser aux règles du jeu, à la sociologie des dirigeants et aux ruptures intervenues dans le monde financier depuis les années 1970. Le temps nous est compté.
NB : Pour mémoire, une discussion technique s’est engagée sur l’estimation des notionnels. Dans la salle un intervenant précise que le notionnel couvre le risque des taux d’intérêt, pas la totalité du risque, ce qui réduit considérablement le prix estimé des dérivés (le rapport serait de 1 à 100).
- Selon la Banque Mondiale, le PIB mondial en 2012 s’est élevé à 72 901 milliards de dollars. ↩
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