Sommet Internationaliste du plan B

Bannière Plan B

« Mener le rapport de force jusqu'au bout »

Contribution de la Commission Economie du Parti de Gauche pour le sommet du Plan B en Europe des 14 et 15 novembre 2015 à Paris.

Introduction

Le Parti de Gauche et sa Commission économie mènent depuis cinq ans déjà une réflexion approfondie sur la nécessaire désobéissance aux traités actuels régissant l’ordre économique et monétaire européen. En 2010, le colloque « Gouverner face aux banques » organisé par Jacques Généreux engageait une réflexion sur la question de la reprise en main du système financier. La question européenne et monétaire a également fait l’objet de plusieurs contributions du Parti, notamment la résolution sur l’euro de 2011. Dans l'ensemble de ses travaux, la Commission économie du PG a toujours assumé qu'aucun sacrifice ne devait être fait pour l'euro, et que si nous étions amenés à choisir entre l'application de notre programme et le maintien dans la zone euro, nous en sortirions plutôt que de renoncer au mandat que nous aura confié le peuple français.

Les épisodes ayant suivi l’arrivée au pouvoir de Syriza ont confirmé la justesse d’une approche offensive pour provoquer le changement d’orientation européenne souhaité. Le succès de nos négociations ne se fera pas sans mener le rapport de force, c’est-à-dire sans plan B, crédible et réaliste. Les cinq mois de négociation du gouvernement d’Alexis Tsipras ont été pensés dans le cadre d’un échange raisonné. Il s’agissait de convaincre les partenaires européens de leur erreur d’appréciation concernant les origines de la crise européenne et donc de la manière d’en sortir.

Le positionnement des créanciers reposait moins sur les implications économiques d’une rupture que sur l’analyse de ses coûts et bénéfices politiques. L’Union européenne actuelle est un espace où technocratie et oligarchie financière arbitrent désormais les décisions politiques, comme l’ont montré les décisions de l’Eurogroupe ou de la BCE. Le maintien du pouvoir oligarchique et technocratique se fait au prix d’une dégradation économique et sociale croissante pour une majorité de citoyens européens. Sans rupture réelle, il n’y a pas d’alternative crédible à l’ordolibéralisme actuel. Et sans se donner les moyens de mettre cette rupture en place, le mouvement socialiste et révolutionnaire européen enchaînera les renoncements.

Dans un ordre européen où « il ne peut y avoir de choix démocratique contre les traités » (J.C. Juncker), la souveraineté populaire doit donc à nouveau faire la preuve de sa puissance légitime en assumant la confrontation jusqu’au bout, et ce dans le cadre national. Le recours immédiat au rapport de force doit primer sur la négociation économique raisonnée : sans sortir du cadre actuel, notre programme ne peut pas s’appliquer et aucune refondation coopérative de l’Europe n’est possible. Le plan B, c’est donc pour nous ce qui doit permettre à la France de forcer le changement en Europe, c’est-à-dire de négocier le plan A. En réalité, la principale leçon de l’expérience Syriza est qu’il n’y a pas de plan A sans plan B. Le plan B devra démontrer sa maîtrise des leviers d’action du pouvoir illégitime au sein de l’Union économique et monétaire (comme les banques), afin d’en limiter la force de nuisance.

En effet, le système financier, du fait de son haut degré de désintermédiation et de sa dépendance aux décisions de la BCE, échappe en grande partie à la souveraineté populaire. Pire, il devient une arme contre la démocratie : la menace d’un effondrement financier brandie par la BCE et l’Eurogroupe est sans doute aussi puissante aujourd’hui pour faire plier les peuples que ne l’était la menace d’invasion militaire au temps de la Guerre Froide. Il conviendra donc de se protéger contre cette menace en assurant rapidement un contrôle des capitaux et en reprenant la main sur la création monétaire : il s’agit là d’un acte fondateur de désobéissance permettant d’engager le changement en France et en Europe.

Après avoir rappelé en quoi l’application de notre programme économique ne peut s’appliquer avec les traités actuels (partie I), la contribution illustre dans un premier temps l’acte fondateur de désobéissance financière et monétaire, et ses implications économiques et pratiques (partie II). Nous expliquons en particulier en quoi la désobéissance monétaire n’implique pas nécessairement la sortie de l’euro mais enclenche un processus où l’euro n’est déjà plus une monnaie unique. Cette phase transitoire poussera les autres membres de la zone euro à s’adapter au nouvel environnement économique que nous déclencherons, en particulier via le module de paiement de TARGET1.

Parallèlement à cette désobéissance, nous proposons d’avancer auprès de nos partenaires une proposition alternative : le Partenariat Monétaire d’Equilibre (PME), communément appelé « monnaie commune » et une refonte du marché commun qui introduirait des clauses spécifiques allant dans le sens d’un protectionnisme solidaire (partie III).

Les évolutions possibles entre l’instauration du rapport de force et la renégociation forment en fait tout le plan B, jusqu’à une éventuelle sortie de l’euro. L’UE peut ainsi donner des signes favorables à la renégociation des traités (ce que nous appelons le plan A) dès les premiers mois de notre arrivée au pouvoir, ainsi qu’au principe de Partenariat Monétaire d’Equilibre (monnaie commune) ou proposer à la France de rester dans l’euro avec des dérogations spécifiques (opt-out). La France pourrait tout aussi bien être exclue de l’euro-système, ce qui conduirait en réalité à l’éclatement de ce dernier. Pour créer le rapport de force, il faut donc faire savoir dès notre arrivée au pouvoir que nous serons prêts aux deux dernières issues conjointes (opt-out et exclusion de l’euro- système) et préparer dès maintenant des mesures qui ne seraient à appliquer que dans cette éventualité (partie IV).

I. Notre programme économique ne peut s’appliquer avec les traités actuels

Le plan B résulte d’une exigence de réalisme et de lucidité politique : notre programme économique n’est pas réalisable dans le cadre des institutions européennes actuelles. Il est hors de question de changer de programme, il faut donc désobéir et faire pression pour un changement des traités (plan A). Nous développons ici en quoi des axes programmatiques tels que la relance de l’activité économique, la transition écologique ou encore la révolution fiscale ne peuvent s’appliquer sans contrevenir au moins en partie aux traités actuels.

Toute politique de relance et de redistribution de grande ampleur qui s’interdit l’usage de la politique monétaire, ou néglige son potentiel (les précédents historiques d’Amérique latine ou les tentatives de « transitions socialistes » en Europe de l’Ouest le démontrent) est vouée à l’échec. Ce pour deux raisons principales : d’une part, si un pays relance davantage qu’un autre, il crée des débouchés supplémentaires pour les autres pays, augmentant ainsi les importations et le déficit commercial de l’ordre de quelques points de PIB. D’autre part, la relance peut créer à terme des pressions inflationnistes qui amplifient la formation de déficits extérieurs du fait des différences de niveau général des prix entre pays. Ces déficits de la balance commerciale ne pouvant être compensés par une dévaluation monétaire, leur accumulation conduit à emprunter de plus en plus d’euros auprès des pays à surplus de la zone euro, ou bien à l’étranger. Le pays doit s’engager à rembourser ses emprunts avec intérêts produisant ainsi une dépendance accrue vis-à-vis des prêteurs internationaux (BCE, FMI, etc.) et de leurs conditions de prêts, souvent contre-révolutionnaires (austérité, diminution de la place de l’état, etc.) : le fameux « mur de l’argent » est d’abord une conséquence de l’impensé monétaire, comme l’a montré une fois de plus le cas grec.

Dans le cas français, ce processus prendrait sans doute plus de temps que dans le cas grec dans la mesure où nous disposerions d’un accès (partiel) aux marchés financiers et ne serions pas déjà sous la pression des créanciers institutionnels (BCE, FMI, FESF) qui, dans le cas de la Grèce, avaient pris le relai des marchés. En outre, nous disposerions d’une plus forte marge de manœuvre budgétaire compte tenu du niveau élevé d’épargne nationale. Toutefois, le non-respect de la règle d’or et des exigences de déficit budgétaire imposées par la Commission européenne dans le cadre du TSCG soumettrait la France à des sanctions possibles à la fois du côté de la Commission et du côté de la BCE. Cette dernière pourrait juger l’orientation budgétaire prise par la France non soutenable et restreindre sa politique d’accès aux liquidités banque centrale en direction de nos banques, comme elle a pu le faire à Chypre ou en Grèce.

Outre la question de la relance budgétaire, la transition et la planification écologique contreviennent également au Marché Commun. La transition écologique implique de mettre en place une taxation anti-dumping écologique aux frontières de l’Europe et de la France ainsi que des aides ciblées permettant l’émergence de secteurs de pointe dans l’industrie écologique et maritime. Or, dès 1957 et la signature du traité de Rome, la caractéristique principale de l’espace européen est de s’organiser en zone de libre- échange. Les droits de douane intérieurs sont supprimés (cela est effectif dès 1968) et la fixation de la politique douanière, le tarif douanier extérieur commun est délégué par les états à ce qui va devenir la CEE. Cela signifie que le niveau des droits de douane des produits entrant dans l’espace européen est désormais une compétence relevant de l’entière juridiction européenne, et que cela est protégé par le droit. Les règles de la concurrence s’appliquent aux services tels que les télécommunications, les transports, le gaz, l’électricité, et les aides d’état sont en principe interdites par l’article 87 du Traité instituant les Communautés européennes. Autrement dit, la mise en place d’une taxe écologique aux frontières ou de subventions ciblées sur l’industrie maritime serait fortement restreinte par les traités.

Enfin, la révolution fiscale, dont l’objectif est la restauration de la transparence et de la justice face à l’impôt, dépend de la capacité de la France à contrôler les flux de capitaux et à lutter contre l’évasion fiscale. Or, la législation européenne en la matière encourage l’évasion fiscale en laissant prospérer en son sein plusieurs paradis fiscaux, dont le Luxembourg qui permet aux grandes multinationales d’échapper à l’impôt. La liberté totale des flux de capitaux et la concurrence fiscale entre états membres ne permettent pas un contrôle efficace de l’évasion, et rendent caduque toute politique de redistribution fiscale de grande ampleur. Faute d’accord sérieux entre la France et ses partenaires, nous serions donc contraints de rétablir un contrôle des flux pour rendre effective notre réforme de la fiscalité et lutter contre le dumping fiscal intra-européen.

Ces trois exemples illustrent la puissance des contraintes européennes auxquelles nous serons confrontés. Nous ne souhaitons pas renoncer à la mise en place de ces mesures, il convient donc d’engager un processus de désobéissance qui nous permettra de récupérer la souveraineté de nos choix de politique macroéconomique. Nous présentons dans la partie qui suit l’acte fondateur du rapport de force et de la désobéissance aux traités, que nous mettrions en place dès notre arrivée au pouvoir.

II. L’acte fondateur du rapport de force : contrôle des capitaux et réquisition de l’outil monétaire

Comme l’indique le texte du Congrès de Villejuif, il faut établir un rapport de force pour négocier simultanément le plan A (c’est-à-dire la renégociation des traités) et, en cas d’échec, imposer le plan B. En effet, négocier un plan A sans avoir pris les premières dispositions urgentes ci-dessous laisserait le temps aux forces néo-libérales du secteur privé et de l’Eurogroupe de nous contraindre en limitant la liquidité de l’économie. Nous présentons ici la liste des mesures d’urgence et transversales (contrôle des capitaux et réquisition de la Banque de France) qui s’imposeront d’emblée.

La toute première mesure urgente et transversale est la mise en place du contrôle des mouvements de capitaux, qui va à l’encontre de la libre circulation instituée par les traités. En plus des problèmes juridiques et diplomatiques qu’une telle mesure ne manquerait pas de soulever, nous avons relevé les difficultés suivantes :

  • un contrôle des capitaux nécessite une réglementation bancaire stricte et les moyens de la faire respecter,
  • il demande des moyens techniques,
  • il faut être en mesure de distinguer les flux de capitaux à finalité économique des flux purement spéculatifs et financiers.

La deuxième mesure urgente et transversale est la réquisition de la banque centrale afin de la sortir du contrôle de la BCE. Une telle mesure nous permettrait :

  • de retrouver la maîtrise de la liquidité et de la création monétaire,
  • de suppléer aux marchés financiers pour le service de la dette2,
  • de réorienter les dépenses publiques vers un développement du pays conforme à notre programme.
  • La reprise par la France de sa politique monétaire ne conduira pas à la création excessive de liquidités mais plutôt à leur réorientation. En effet, on voit bien que l’afflux de liquidités provoqué par la politique monétaire de la BCE n’a pas relancé l’économie. Ce n’est donc pas la voie à suivre.

Il conviendra d’approfondir ces deux premiers points à une échelle nationale et européenne, sous tous leurs aspects juridiques et leurs conséquences diplomatiques : clauses dérogatoires, rejet total des traités… Ces premières mesures nous permettront de commencer à appliquer notre programme éco-socialiste, mais déclencheront aussi inévitablement un processus politique européen de redéfinition politique de l’Europe, dans lequel il s’agira d’inclure autant que possible les peuples.

On ne manquera pas de nous opposer que les traités nous interdisent ces mesures. Or, en retour, nous ne manquerons pas d’arguments pour mettre en avant que l’UE elle- même n’a pas respecté ses propres traités et nous nous préparons à la bataille juridique qui s’en suivra.

Mais l’important restera les actions concrètes que l’UE et l’Eurogroupe penseront devoir prendre.

A ce stade, la France ne décide pas de son propre chef de sortir de l’euro, pour laisser toute sa chance à ce processus. La Commission économie du Parti de Gauche, à la lumière des études qu’elle a analysées3, arrive en effet à la conclusion que revenir à une monnaie nationale sans coordination ni préparation avec des partenaires serait une erreur stratégique. S’il le faut, nous sortirons de l’euro, mais à moyen terme, selon notre calendrier, et selon une préparation qui fait partie du plan B.

La France continuera donc d’utiliser l’euro au début du processus, mais cet euro aura de facto changé de nature à la suite de la désobéissance française. Si nos partenaires craignent les effets sur l’euro d’une politique monétaire française indépendante, l’euro- système peut rapidement en protéger sa zone. Cela ne peut donc pas lui servir d’argument pour s’y opposer.

Nous serons notamment prêts à enclencher les procédures d’urgence prévues par les traités permettant l’annulation des actes abusifs de la BCE. Ceci afin de ne pas se laisser asphyxier par ses attaques portées en outrepassant même le pouvoir que lui reconnaissent les traités, comme elle l’a fait en Grèce.

Il suffirait en effet d’une évolution assez rapide à mettre en œuvre dans le module de paiement de TARGET qui consiste à distinguer les flux sortants de France (à l’aide du code pays des BIC, Bank Identifier Code, émetteurs et récepteurs), à les échanger normalement et à générer une écriture comptable entre le compte TARGET de la banque émettrice et celui de la BCE, de montant égal à la décote qui serait un paramètre mis à jour quotidiennement. Ainsi, le transfert de 1 000 euros du compte TARGET d’une banque commerciale serait de 1 000 euros, mais le transfert vers une banque étrangère ne créditerait celle-ci que de 950 euros, par exemple. Ce n’est pas vraiment un change, juste une contre-valorisation (« stérilisation ») que la BCE déciderait d’appliquer pour conserver la valeur de l’euro. Les 50 autres euros étant en fait détruits, comme toute résorption de liquidité par la BCE. Ce système sera donc proche de la constitution d’une monnaie parallèle au sein de l’UEM. Il entamera le processus de redéfinition de la monnaie commune que nous souhaitons voir émerger.

Cette façon transitoire de fonctionner incitera à diminuer les importations, comme le ferait une dévaluation, et conduira très probablement à un abaissement relatif de l’euro par rapport au dollar. Elle permettra à la France de mener sa politique monétaire en laissant la possibilité aux autres pays de se protéger d’une trop forte création éventuelle de monnaie. Ainsi, le rapport de force ne sera pas créé par un retour immédiat à une monnaie nationale mais par la préparation de l’UEM à une transition de politique monétaire, fut-elle pendant un temps exprimée en euros. Les éléments de cette transition sont listés en annexe, sans être davantage détaillés pour l’instant. Ils font l’objet d’un travail en cours au sein de la Commission économie, et que nous proposons de prolonger avec tous les participants au sommet du plan B du 14 et 15 novembre 2015.

III. Proposer une monnaie commune européenne

Une politique monétaire européenne adaptée doit permettre de compenser les différences d’inflation et de croissance entre pays, laissant à chaque état membre de l’Union européenne la possibilité de mener une politique macroéconomique autonome tout en permettant aux autres pays d’en faire de même. Le taux de change n’est plus alors un objectif (« l’euro fort ») mais redevient un instrument de politique économique, ce qu’il n’a jamais été dans le cadre des traités européens. L’acte de désobéissance consistant à reprendre la main sur la création monétaire sans sortir de l’euro serait un premier pas vers une réorientation négociée de la monnaie unique en monnaie commune. En effet, il conduirait de facto à l’instauration d’un euro dévalué en France (ou euro-franc), comme cela a d’ailleurs été le cas à Chypre où les contrôles de capitaux impliquaient qu’un euro chypriote avait une valeur plus faible qu’un euro étranger.

Ce non-retour au franc repose sur l’analyse selon laquelle revenir aux monnaies nationales via un retour classique au Système Monétaire Européen (SME) ne permettrait pas d’affronter les enjeux et ce, pour trois raisons principales. Premièrement, cela créerait une incertitude permanente du fait du changement brutal et répété de la valeur de tous les titres, actifs, droits, contrats, libellés en euros (les Français consacrent tout de même plus du quart de leur revenu à l’achat de produits étrangers) par rapport à ceux qui le sont en une autre monnaie. Le SME était marqué par ces chocs de dévaluation successifs car il s’agissait d’un système de change « quasi » fixe dont la défense obligée épuisait les réserves de change. Souvent imprévues par les agents économiques, les dévaluations n’étaient pas planifiées et étaient donc vectrices de risque et d’instabilité. Deuxièmement, le SME encourageait la spéculation: les

spéculateurs internationaux anticipaient les dévaluations successives, ce qui conduisait à leur réalisation (anticipations auto-réalisatrices typiques des crises de change des années 90, cf. Georges Soros pour la livre anglaise). Troisièmement, un SME renouvelé ne serait pas une politique vraiment coopérative : les pays de la zone euro auraient intérêt à dévaluer plus ou moins que les autres en réaction aux incertitudes de change de leurs partenaires commerciaux. S’engagerait une « guerre des monnaies » aux conséquences économiques imprévisibles et néfastes.

Nous proposerions donc immédiatement à nos partenaires européens la mise en place d’un « Partenariat Monétaire d’Equilibre » (PME), lequel repose sur une monnaie commune européenne face aux autres devises avec des parités variables entre pays de l’actuelle zone euro. Cette dernière proposition, déjà avancée comme une alternative commune européenne face aux autres devises avec des parités variables entre pays de l’actuelle zone euro sérieuse dès 1983 en sus du débat Delors / Chevènement4, va plus loin que la proposition d’Oskar Lafontaine d’un retour au SME avec contrôle des mouvements de capitaux car elle en fait le bilan critique. Le PME répond le mieux par ses critères aux trois problèmes que posait le SME. Il repose premièrement sur un glissement progressif du taux de change (jamais par à-coup) suivant l’inflation, ce qui élimine l’effet d’incertitude des dévaluations brutales successives. Si les taux d’inflation annuels sont de 4% en France et 2% en Allemagne, l’euro-mark doit voir sa valeur en eurofrancs accrue de 2% chaque année. Nous proposons également d’instaurer par une règle commune l’engagement (crédible) à maintenir, par ce glissement, l’équilibre permanent de la balance de base (solde des échanges de biens et services et capitaux de long terme). Cette règle commune, puisqu’elle compense les différences intra-européennes de taux d’intérêt, et les gains et pertes relatifs qu’il y aurait à détenir en capitaux une monnaie plutôt qu’une autre, permettrait d’éliminer la spéculation. Dans la mesure où la balance de base exclut les mouvements spéculatifs de capitaux de court terme (déstabilisants, comme en Grèce ou en Espagne), se focaliser sur celle-ci permet d’éliminer l’effet de ces capitaux sur les parités entre monnaies.

Cette politique est par construction coopérative : quoi que fassent les autres états (leurs actions influencent le taux de change réel d’équilibre), elle constitue la meilleure réaction aux actions des autres. En effet, comme tout déséquilibre d’une balance extérieure (de base ou commerciale) d’un pays correspond à des déséquilibres de sens inverse dans d’autres pays, un pays qui réduit son déficit ou son surplus de cette manière contribue au mieux à l’équilibre des soldes semblables des autres pays. Cette proposition permettrait de limiter le problème du recyclage des surplus commerciaux mis en avant dans l’ouvrage de Yanis Varoufakis Le Minotaure Planétaire (2015). Chaque pays européen pourrait mener cette politique monétaire optimale pour lui-même (dans le cadre de la désobéissance, ce serait d’abord le cas pour la France) sans se préoccuper de ce que font les autres.

Toutefois, il faudrait que le PME s’accompagne d’une nouvelle banque centrale européenne dont le rôle serait non plus le respect d’une inflation ne dépassant pas les 2% mais de garantir la parité des taux de change réels (inflation comprise) entre les monnaies de chacun des pays de la zone, autrement dit de suivre les évolutions d’inflation et de croissance anticipées et de les compenser par glissement du taux de change pays par pays. Il y aurait donc maintien de la parité des vrais pouvoirs d’achat et de vente des biens et services des différents pays de la zone, mais également maintien d’une institution supra-nationale devant assurer le respect de cette règle commune.

En plus d’un nouvel accord monétaire, nous proposerons à nos partenaires européens l’entrée dans un cadre commercial plus protecteur du progrès social via notre proposition d’un protectionnisme solidaire. Trois principes guideront ce protectionnisme solidaire : l’autonomie démocratique, la garantie de nouveaux horizons de développement (planification écologique), la justice des échanges (lutter contre toutes les formes de dumping).

Les mesures types devront intégrer le rétablissement d’un véritable service public de la douane, la constitution d’un Fonds de développement social et écologique à partir des produits de taxes compensatrices (différentielles) pour lutter contre dumping, la taxation écologique aux frontières, des droit de douane de 30% à 50% sur la Suisse et le Luxembourg afin de leur faire abandonner leur secret bancaire, le contrôle des flux d’investissements de court terme (dépôt de 20% auprès de la BCE, comme au Brésil), la mise en place de visas sociaux et environnementaux, ou encore la sortie de l’OMC pour refonder un cadre de coopération commercial européen plus proche des principes de la Charte de la Havane de 1947.

IV. Etre prêts à sortir de l’euro

Dans cette première contribution, nous avons choisi de ne pas développer les éventualités les plus favorables de négociation avec L’UE. Les réactions de nos partenaires aux premières mesures d’urgence développées ci-dessus ne sont pas absolument prévisibles : mesurant les conséquences économiques et politiques pour eux d’un affrontement avec la France, il n’est pas impossible qu’ils acceptent en partie le plan A. Il nous paraît toutefois plus urgent d’étudier le scénario le moins favorable, c’est- à-dire celui d’une sortie unilatérale de ce système, symbolisé par l’euro, même si nous ne la souhaitons pas. Nous présentons ici les risques principaux auxquels la France devrait faire face en cas de lourde confrontation.

Le premier risque serait la fermeture brutale de TARGET aux flux français. Cela correspondrait à un « Francexit » provoqué par l’euro-système. Les conséquences économiques pour la France sont difficiles à évaluer sachant que le trafic sur TARGET est totalement dé-corrélé des sous-jacents économiques. En outre, il est tout aussi important de tenir compte du prix à payer pour nos partenaires européens, qui pourrait être dissuasif. La Commission économie est actuellement engagée dans ce travail d’évaluation, en particulier s’agissant de la mise en œuvre de palliatifs à la fois économiques et monétaires. Notons que l’exclusion de TARGET s’accompagnerait en toute probabilité de celle du système T2S5 de règlement / livraison de titres qui sera alors opérationnel.

Le second risque majeur serait la fermeture du marché des liquidités aux USA. Les USA pourraient en effet interdire aux filiales américaines des banques françaises ou à leurs correspondants américains de se refinancer auprès de la Réserve Fédérale, ce qui bloquerait les capacités des banques françaises à fournir à leur clientèle d’entreprises les devises nécessaires aux importations. Il s’agit là des deux risques principaux mais nous listons en annexes une liste des autres conséquences possibles dont il conviendra d’évaluer la probabilité.

Ces réactions ne nous laisseraient plus d’autre choix que de sortir complètement de l’euro-système, lequel nous priverait, avec les complicités américaines et du FMI, de l’accès à la liquidité banque centrale. Les conséquences d’un éclatement de la zone euro et d’un retour aux monnaies nationales se feraient particulièrement sentir sur le bilan des banques et des entreprises. S’agissant du bilan des banques, nous nous sommes basés principalement sur deux études6, nous permettant de dégager les éléments suivants:

  • L’impact global sur les bilans bancaires français serait relativement restreint à une perte de 92 mds€ (autour de 4% du PIB). Les pertes seront dans tous les cas absorbables étant donnés les profits annuels des grands groupes.
  • Des situations d’instabilité financière et de panique bancaire suivront inévitablement la dissolution de l’euro-système.
  • L’exposition au risque de change aura des effets différenciés sur les différentes banques françaises.

Qu’en est-il des conséquences de la désobéissance sur les entreprises ? En effet, dès sa mise en œuvre, les entreprises commenceront à s’y adapter. Il est indispensable d’essayer d’anticiper au maximum leur futur comportement, qu’il soit déterminé par la période d’incertitude créée par l’application de notre programme et le bras de fer que nous mènerons avec les institutions européennes ou également par la sortie de l’euro à laquelle la France aura été potentiellement conduite.

Le contrôle des capitaux aura des effets très forts, mais limités dans le temps. Les plus sévères concernent les moyens de paiement internationaux. Leur résolution dépend quasi intégralement des banques, dont un de leurs métiers est précisément la gestion des flux monétaires et financiers. L’incertitude des investisseurs vis-à-vis de notre politique et de ses conséquences risque par ailleurs de conduire au blocage ou au report d’un certain nombre d’investissements, ce qui peut avoir des conséquences significatives sur l’emploi, comme on a pu le voir à partir de la crise financière de 2008. La consommation sera également impactée : elle bénéficiera de la politique de relance par la demande que prévoit notre programme, mais dans le même temps, dans un contexte de crise, le comportement des ménages risque de se modifier : report des achats de biens durables (automobile, ameublement, logement, etc.), limitation du recours au crédit, etc. C’est-à-dire un effet dépressif antagoniste à celui de la relance par la demande. Par rapport aux difficultés traversées par l’économie française à l’arrivée des socialistes au pouvoir en 1981, une différence est la réactivité pro-cyclique du comportement des entreprises qui réagissent rapidement à la hausse des stocks en ralentissant quasi immédiatement l’activité (baisse du recours à l’intérim, arrêt complet de la production pour vider les stocks, etc.), ce qui, à partir des secteurs de biens durables, risque de propager le ralentissement en aval, puis à l’ensemble de l’économie.

La dévaluation entraînée par une sortie de l’euro aura des conséquences très positives sur la compétitivité-prix des entreprises exportatrices ; elle devra être accompagnée d’un ensemble de mesures encadrant notamment les versements de dividendes pour que la hausse des niveaux de marges permette de favoriser l’investissement et l’emploi et non pas la rémunération des capitaux investis par les actionnaires. Le renchérissement du prix des importations pourra avoir des effets plus négatifs sur une partie des entreprises, qu’il conviendra d’anticiper un maximum, tout comme les évolutions de la consommation des ménages pour réagir à cette hausse du prix des produits importés. A cela s’ajoutera le renchérissement de la dette libellée en droit étranger d’une partie des entreprises basées en France, et qui pourrait avoir des conséquences économiques considérables.

La principale difficulté est d’analyser les potentielles réactions des groupes internationaux sur la durée. L’insertion très forte de nombreuses entreprises dans la mondialisation a entraîné des bouleversements de leur stratégie. De nombreuses filiales ont la quasi intégralité de leurs comptes d’exploitation qui sont issus de flux au sein de leur groupe d’appartenance, par la fixation des prix de transfert. Les évolutions de leur position de trésorerie sont également très difficiles à anticiper car la majorité d’entre- elles fonctionnent en cash-pooling, c’est-à-dire avec une centralisation de la trésorerie et de l’endettement au niveau du groupe. Une sortie de l’euro, la dévaluation et l’ensemble des risques économiques qu’elle entraînera, créera à coup sûr des réactions tant sur la situation bilancielle des filiales françaises que dans la construction de leur résultat comptable. Ces réactions auront des conséquences profondes sur l’emploi.

Dans ces analyses, il faudra garder à l’esprit et préserver les facteurs qui font d’ores et déjà de la France un lieu attractif pour l’emploi de la part des entreprises fortement mondialisées qui y sont présentes. Leur base d’emploi en France ne doit rien ni au hasard ni à un quelconque patriotisme économique – facteur que l’on trouvera parfois dans des groupes peu mondialisés. Elles emploient en France parce qu’elles y trouvent des facteurs de compétitivité hors-prix liés au haut niveau d’éducation et de formation des travailleurs, ou parce que le marché intérieur français est attractif, ou pour d’autres facteurs qui leur sont propres, et qu’il conviendra de prendre en compte le cas échéant. Une dévaluation rendrait cette base d’emploi française a priori plus attractive, en tous cas n’a pas de raisons de la menacer directement.

Nous produisons en annexe une liste (non exhaustive) des autres coûts économiques possibles pour la France d’une sortie forcée de l’UEM. Il va de soi que mis à part les spécificités françaises, toutes les nations présentes au sommet internationaliste auront à traiter de ces questions.

V. Annexes

Annexe 1 : Préparer la désobéissance, d’abord sans prendre l’initiative d’un retour au franc

  • Contrôle des capitaux : aspects juridiques, dérogation provisoire aux traités.
  • Contrôle des capitaux physiques aux frontières
    • Récupération de la souveraineté des douanes françaises
    • Reconstruction du service des douanes
  • Contrôle des capitaux en cash
    • Mise en place instantanée des limites de retraits aux guichets et automates bancaires
  • Contrôle des capitaux scripturaux
    • Règlementation imposée aux banques
      • Pas de contrôle sur les flux franco-français
      • Définition de critères techniques automatiques d’autorisation de paiement hors frontière.
      • Définir : contrôle a priori ou a posteriori type TRACFIN.
  • Réquisition de la Banque de France
    • Contournement de la Loi Bancaire de 1998
      • Possibilité de légiférer par ordonnance ou de réglementer par décrets o
    • Modalité techniques de la politique monétaire hors BCE
      • Circuits informatiques des prises de pension, système T2S
    • Maîtrise de l’usine de Chamalières à vérifier (la BCE a-t-elle la faculté technique de la bloquer ?)
    • Memorandum des mesures provisoires pour euro-système
      • Nécessaire contrôle des capitaux
      • Reprise de la souveraineté monétaire et douanière
      • Volonté de rester dans l’euro-système avec ces dérogations
      • Suivi des évolutions de la masse monétaire, mesures palliatives possibles
      • Activité des filiales des banques françaises en Europe et réciproquement

Annexe 2 : Réactions négatives possibles à la désobéissance française

  • Fermeture TARGET aux flux français
    • étude détaillée des conséquences
      • étude d’impact pour l’économie française
      • étude d’impact pour l’Allemagne
      • étude d’impact pour les autres pays
    • Palliatifs et contre-mesures de l’euro-système
      • Capacité de SWIFT à absorber le trafic euro/euro
      • Capacités de l’euro-système à bloquer le correspondent banking euro/euro
        • Blocage des correspondants
        • Interdiction aux filiales françaises de se re financer
  • Fermeture du marché des changes aux flux français
    • Expulsion des banques françaises du système CLS
    • Fermeture du refinancement en dollar des filiales françaises aux USA par la Fed
  • Fermeture de T2S aux flux français
    • Impact sur le marché monétaire français
    • Impact sur l’économie de la fermeture des marchés financiers

Annexe 3 : Liste des points à étudier en cas de sortie de l’UEM

  • Nationalisation des banques
    • Motifs
      • Faire appliquer la politique économique du gouvernement
      • Combattre l’évasion et l’optimisation fiscales
      • Préparer l’éclatement de l’euro-système
    • Mise en œuvre (cf études PG 2012)
      • Retour d’expérience des années 80
      • Préparation en amont de la loi ou ordonnance
      • Définition du champ
      • Modalités de gouvernances
      • Modalités d’indemnisation : échange, cash, obligations…
      • Calendrier, stratégie
  • Valeur des dettes et dévaluation
    • Dettes de droit français, dettes de droits étrangers
    • Impacts sur les entreprises internationales
    • Impacts sur les banques
    • Impacts sur les compagnies d’assurance
    • Impacts sur les investisseurs institutionnels
    • Impact sur les fonds d’investissement et fonds de retraite o Impacts sur les particuliers, artisans, commerçants.
  • Politique commerciale
    • Tableau des importations/exportations par pays
    • Mise en évidence des dépendances
    • Délais de substitution de production nationale
  • Système interbancaire
    • Modalités de règlement des soldes du système de compensation CORE (paiements nationaux) en BdF
    • Remise en état d’un système de règlement brut national
  • Nouvelle monnaie
    • Valeur d’échange (1 pour 1 recommandé)
    • Régime
      • Monnaie librement convertible à taux de change flottant
      • Monnaie non convertible à taux fixe règlementé
    • Attaques spéculatives possibles : palliatifs
  • Fiduciaire
    • Délai de fabrication de nouvelles coupures
      • Dévoiement des coupures euro
      • Suppression du fiduciaire : promotion du porte-monnaie électronique
      • Vie pratique
    • Période transitoire ?

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  1.  TARGET : système informatique géré et contrôlé par la BCE, qui permet à tous les pays de l’euro-système de faire les paiements en euros entre banques
  2. En remplaçant les emprunts arrivant à échéance contractés sur le marché obligataire à taux d’intérêt élevés, par des emprunts à taux très réduits auprès de la Banque de France
  3. Heiner Flassbeck et Costas Lapavitsas, The systemic crisis of the euro, true causes and effective therapies, Rosa Luxemburg Stiftung, Mai 2013.
    Francisco Louça, parlementaire membre du Bloco de Esquerda, Portugal : Conséquences d’une sortie de l’euro, Espaces Marx, 2012.
    Roger Bootle, Capital Economics, Leaving the Euro : a practical guide, 2012.
  4. Serge Christophe Kolm, Sortir de la crise, 1983.
  5. Le système T2S, en cours de déploiement, remplacera le système ESES qui lui-même avait remplacé en 2009 le système RGV2. Ces systèmes gèrent les transactions notamment d’actions, d’obligations et de dérivés, soit tout le fonctionnement des marchés financiers en euros, en intégrant de plus en plus de pays européens et de type de titres. Ils sont notamment utilisés pour les systèmes de prises de pension de la politique monétaire. T2S introduit la nouveauté d’être intégré à la plate-forme TARGET et donc d’être sous contrôle total de la BCE.
  6. Jens Nordvig, Rethinking the European monetary union, Wolfson Economics Prize 2012. David Amiel, Paul-Adrien Hyppolite. Is there an easy way out? Private marketable Debt and its implications for a euro breakup: the case of France. Cahier de recherche 2015-02. 2015.

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