Imposer les revenus du capital aux même taux que les revenus du travail
Le Front de Gauche s’engage à rétablir l’égalité face à l’impôt entre les revenus du capital et ceux du travail. Pour ce faire, nous devons identifier clairement les raisons de ce déséquilibre. Cet exercice nous permet d’éviter les écueils propres à ce type de questions et de fournir une réponse précise à nos détracteurs.
Les revenus du travail (salaires, cotisations sociales et patronales incluses) sont aujourd’hui soumis à un taux d’imposition implicite de 41%. Au contraire, les revenus du capital (plus-value et dividendes) sont imposés au taux implicite de 16.2% . On observe donc de fait un écart de près de 25 points entre les deux.
Ainsi, une étude de Natixis largement citée (Flash Info du 11 juin 2010), menant au chiffre de 42 milliards d’euros, posait déjà problème. En effet, elle résultait de l’application d’une hausse de 25 points aux revenus du capital des ménages uniquement. Or, comme nous le verrons, la différence de 25 points comprend la taxation des revenus du capital des entreprises également, lesquels revenus n’apparaissent pas directement dans le patrimoine des ménages (exemple : impôts sur le bénéfice des sociétés). Autrement dit, les 42 milliards sont une fourchette basse qui ne reflète pas complètement les gains potentiels d’une mesure visant à l’égalisation. Le chiffre de 100 milliards d’euro a ainsi été avancé en 2012 par l’économiste Patrick Artus, auteur de la précédente note de Natixis.
Rappelons que des taux implicites faibles d’imposition du capital sont à prendre avec précaution, et ce pour trois raisons majeures :
1. Ils correspondent à une moyenne qui regroupent des activités et taux d’imposition différents (plus-value, pure rente, assurance-vie, livret d’épargne, …)
2. Ils touchent des individus également différents (Lilliane Bettencourt, le petit épargnant, le patron de PME) et ne rendent pas compte de la répartition des revenus (donc du patrimoine) au sein de la population.
3. Ils ne rendent pas compte de la progressivité ou non des taux en fonction des niveaux de revenus.
Cette fiche se propose de prendre ces 3 éléments en ligne de compte afin de justifier le plus efficacement possible la mesure d’égalisation proposée par le Front de Gauche. D’emblée, soulignons qu’il ne s’agit pas d’égaliser tous les niveaux d’imposition du capital avec ceux du travail, ce qui n’aurait d’ailleurs pas de sens. Il s’agit d’aller vers une égalisation des taux implicites, ce qui nécessite de jouer sur plusieurs leviers à la fois.
Commençons par souligner que les revenus du capital sont répartis de façon beaucoup plus inégalitaires que les revenus du travail, comme le traduit la répartition du patrimoine en France. En effet, les 50% des français les plus pauvres ne possèdent que 4% du patrimoine total du pays (financier et immobilier), contre 62% pour les 10% les plus riches . Autrement dit, ce ne sont ni les classes populaires, ni même les classes moyennes qui seraient le plus touchées par le rééquilibrage de l’impôt entre capital et travail, mais bien les plus riches qui concentrent entre leurs mains plus de 60% du capital et en retirent mécaniquement le revenu le plus élevé. Pour prendre un exemple précis, celui des stocks options. Selon une étude de l’INSEE datée de 2010, la valeur des plus-values réalisée en 2007 par les 10% les plus riches représentait 80% de la valeur totale.
Pour le capital, il convient de distinguer entre plus-value et dividendes, chacune de ces catégories étant soumise à des mécanismes d’imposition différents :
1. S’agissant des plus values sur la vente d’actions ou d’obligations, elles sont soumises à un taux d’imposition fixe de 19% auquel s’ajoute 13,5% de prélèvements sociaux sur les plus-values. Mais ces 19% de taxes sont effacées dans certains cas si la sortie est faite après 5 ans (PEA). L’assurance-vie permet également de réduire nettement l’imposition. L’Etat encaisse donc au maximum 32,5% sur les revenus de plus-values d’actions (ou 26% si l’on considère qu’un tiers des plus values sont faites au travers de PEA). Compte tenu de la progressivité de l’impôt sur les revenus du travail, le travail ramène plus d’impôts et de cotisations que les revenus de plus-values d’actions dès que les revenus bruts d’un couple avec deux enfants dépassent les 45000 euros par an (cf figure 2). La solution serait donc d’introduire un élément de progressivité dans la fixation des taux d’imposition sur les plus values.
2. S’agissant des dividendes, c’est-à-dire de la rémunération des actionnaires, ils bénéficient d’un abattement fiscal de 40% avant le calcul de l’impôt sur le revenu. Ce régime s’applique de la même façon à Lilliane Bettencourt ou au petit patron qui réinvestit ses dividendes dans son entreprise. En outre, il existe une option nommée « Prélèvement Forfaitaire Libératoire » (PFL) qui permet aux plus riches de bénéficier d’une sorte de bouclier fiscal sur les dividendes (limité alors à 19%, mieux que les 50% du BF de Sarkozy !) Si l’on inclus à la fois l’imposition fiscale (IR) et sociale (CSG) des dividendes et que l’on compare ces taux effectifs à ceux du travail, le constat est sans appel : l’écart est de près de 30 points entre taux du travail et taux du capital (figure 3). Les opposants à ce type de présentation utilisent souvent l’argument de la double taxation. Qu’en est-il ? Les dividendes résultent en effet de bénéfices imposés une première fois au taux de l’impôt sur les sociétés (IS) fixé à 33%. Si l’on applique ce taux de 33%, la taxation des dividendes dépasse alors ceux du travail. Or, l’IS est en réalité beaucoup plus faible compte tenu de l’évasion fiscale et des nombreuses niches. Il atteint par exemple 8% seulement pour les entreprises du CAC40 et 22% pour les PME, selon un rapport de 2009 du Conseil des Prélèvements Obligatoires. Mais surtout, l’argument de la double imposition est entièrement fallacieux dans la mesure où celle-ci à lieu chaque jour s’agissant du travail lorsque l’on fait ses courses (TVA), ou même à travers la CSG qui s’applique avant l’impôt sur le revenu. En outre, verser des dividendes est un choix volontaire de la part de l’entreprise. La solution serait donc d’une part de supprimer l’option du « Prélèvement Forfaitaire Libératoire » pour rétablir une meilleure progressivité puis de moduler ou de supprimer l’abattement des 40% en fonction du type d’actionnaire et d’investissement.
L’écart entre les taux implicites d’imposition du capital et du travail s’explique surtout par la faible portion des revenus du capital effectivement soumise à l’impôt. Ainsi, seuls 40% des revenus du capital sont pris en compte par la CSG et un peu moins de 20% par l’IR. A l’inverse, plus de 90% des revenus du travail sont soumis à l’impôt (CSG et IR confondus) . Pour les revenus fonciers, à peine plus de 25% se retrouvent dans la base d’imposition (cf. le cas des loyers imputés). Pour les revenus financiers moins de 15% des revenus réels se retrouvent dans la base d’imposition (20% selon le Conseil des Prélèvements Obligatoires). Concrètement, les allocations chômage reportées dans les déclarations de revenus sont deux fois plus élevées que le total des dividendes reportés. Autrement dit, les chômeurs recevraient plus de richesses chaque année que les actionnaires ! Ce résultat ahurissant s’explique par l’évasion fiscale et les nombreuses mesures de défiscalisation ou d’exonérations touchant le capital. La meilleure manière d’augmenter les taux d’imposition implicites des revenus du capital donc serait d’élargir l’assiette des prélèvements pour ce type de revenus et de réduire les niches ou autres mécanismes facilitant l’évasion fiscale. Rappelons que la commission des finances de l’assemblée nationale estimait en 2009 à 75 milliards d’euros la perte pour les recettes de l’Etat due à l’évasion fiscale.
L’égalisation souhaitée passe donc par le relèvement des taux à travers un retour à la progressivité mais va aussi de paire avec l’élargissement de l’assiette des prélèvements. Cette égalisation aura l’avantage de limiter la « triche fiscale » (optimisation fiscale et niches fiscales) qui coûte chaque année plusieurs milliards d’euros à l’Etat. En effet, l’extrême dualité de notre système d’imposition entre capital et travail permet de fait aux plus riches de convertire une partie de leurs revenus du travail en profits ou revenus du capital taxés à taux faible afin de réduire drastiquement leur feuille d’imposition. On a ainsi pu constater que la milliardaire Liliane Bettencourt n’était imposée qu’à hauteur de 1% de ses revenus annuels équivalent pour un patrimoine de 15 milliards d’euros à quelques 600 millions d’euros.
Sandro Poli, Co-président de la Commission Economie du PG.
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