L’euro, on peut s’en sortir.
L’euro vaut aujourd’hui 1,39 dollar, soit le taux le plus élevé depuis trois ans. Les conséquences sont connues de tous : accentuation de la désindustrialisation, explosion du chômage à plus de 12% dans la zone euro, niveau des prix proche de la déflation (0,5%)…. C’est intenable, même les technocrates européens sont obligés de l’admettre.
Le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, a reconnu que l’euro était « anormalement fort », tandis que le président de la BCE Mario Draghi a affirmé que le renchérissement de la monnaie unique nécessitera une action monétaire de la part de la BCE, car il fait courir un risque de déflation de longue durée et complique le désendettement des secteurs publics et privés. La déflation est une calamité. Elle diffère les décisions d’achats, chacun attendant une future diminution des prix, tandis que les entreprises perdent une partie de leurs débouchés et ne peuvent plus se permettre d’investir à cause de la baisse des prix de leurs produits. De plus, la déflation augmente les taux d’intérêt réels, ce qui pèse sur l’endettement des ménages. Il est donc urgent de sortir de ce marasme.
Des mesures inefficaces
Les actions envisagées par Bruxelles restent toutefois de faible ampleur : baisser les taux directeurs, alors qu’ils sont déjà historiquement bas (0,25%), et appliquer des taux négatifs aux dépôts des banques auprès de la BCE pour les inciter à les redistribuer dans l’économie, ne permettra pas d’avoir une monnaie au service de l’intérêt général. Son cours restera trop élevé et elle ne soutiendra pas l’investissement. Précédemment, la BCE a été beaucoup plus loin : entre 2010 et 2012 elle a outrepassé son mandat fixé par les traités depuis Maastricht en rachetant des obligations d’État sur le marché secondaire et en prêtant 1000 milliards d’euros aux banques à des taux très faible. On ne peut pas continuer à avoir des traités aussi absurdes auxquels les dirigeants européens eux-mêmes désobéissent lorsque le risque d’explosion de la zone euro devient trop élevé. Il faut donc d’urgence réformer les statuts de la BCE pour lui permettre de prêter directement aux Etats, la rendre dépendante des pouvoirs publics, et lui donner pour objectif la relance de l’activité et le plein emploi.
Notre méthode ? La désobéissance !
Nous savons que, sauf miracle, le jeu traditionnel de la négociation ne pourra permettre aucun changement radical de la politique monétaire. Il faut une autre méthode. Celle que nous proposons dans les élections européennes est la désobéissance européenne. Un établissement financier public, comme la Banque publique d’investissement par exemple, pourrait demander un prêt auprès de la Banque centrale pour financer les investissements publics, sans passer par les banques privées, comme l’y autorisent formellement les traités (article 123-2 du TFUE). Si la BCE s’y oppose, alors la Banque de France prêtera directement au Trésor public, sans l’autorisation de la BCE et donc en rupture avec les traités européens.
Une telle attitude prouverait que l’État n’est pas condamné à se financer auprès des banques privées, contrairement à ce qu’a imposé le traité de Maastricht. S’ensuivrait un véritable bras de fer avec les institutions européennes. Une exclusion de la zone euro n’est pas prévue par les traités, mais notre politique non plus. Nul ne peut donc anticiper exactement ce qui se passerait. Mais une chose est certaine : il faut passer par cette crise politique et diplomatique pour mener le rapport de force et imposer à l’Allemagne un changement radical des traités. L’Allemagne a tout à perdre à une disparition de l’euro. Nous pouvons donc la faire bouger, contrairement à ce qu’affirment les partisans d’une sortie immédiate de la zone euro, pour lesquels la monnaie unique est à jeter avec les poubelles du néolibéralisme.
Les mirages de la sortie de l’euro
L’éclatement de la zone euro est une possibilité mais ça n’est pas pour nous un objectif stratégique. Nous sommes internationalistes et nous considérons que pour mener une politique de relance de l’activité et de transition écologique il faut une politique monétaire interventionniste et coordonnée par plusieurs pays pour ne pas connaître à nouveau les déboires de 1981 qui ont amené le gouvernement de l’époque à la rigueur budgétaire. Notre objectif, contrairement à celui du FN, n’est pas de jeter les peuples d’Europe les uns contre les autres par la dévaluation compétitive, c’est-à-dire par la guerre monétaire. Les difficultés de la France vont bien au-delà du niveau de l’euro : le problème de l’économie française, c’est le coût du capital beaucoup trop élevé et la compétitivité hors-prix, c’est-à-dire le manque d’innovation et d’investissement de notre économie ravagée par les multinationales qui exploitent leurs sous-traitants. Tenter de compenser fictivement ces difficultés en revenant au franc et en le dévaluant massivement pour rendre nos produits plus compétitifs à l’exportation ne changera rien sur le long terme et ne permettra pas de sortir de la crise.
Pire, historiquement les importantes dévaluations se sont toujours accompagnées de politique d’austérité salariale destinées à limiter l’inflation venant de la hausse des prix des produits importés. L’économiste Jacques Sapir, partisan d’une sortie de l’euro, affirme lui-même qu’en cas de sortie il faudrait « un blocage temporaire (3 mois) des prix et des salaires, et la constitution d’une “conférence nationale sur les rémunérations” avec le gouvernement, les syndicats et le patronat pour négocier les conditions de sortie du blocage ». Par ailleurs, ceux qui affirment qu’il faut sortir de l’euro pour réduire notre dette en dévaluant notre monnaie nationale ignorent volontairement le fait qu’on peut refuser de rembourser une partie de notre dette sans sortir de l’euro.
Faire croire que la plupart des maux de notre économie viennent de l’euro et voir dans la sortie un remède miracle constitue un danger politique. Au fond, le FN et la Commission européenne partagent la même vision néolibérale du monde : le problème pour eux est la compétitivité qu’il faut améliorer par la dévaluation interne pour la Commission, c’est-à-dire par la baisse des salaires, et par la dévaluation externe pour le FN, c’est-à-dire par la baisse du cours d’une monnaie nationale. Le Front de Gauche, lui, n’oublie pas les rapports de force entre capital et travail. Et la sortie de l’euro n’est pas la condition préalable pour l’inverser dans le sens des salariés. Il faut augmenter les droits des salariés dans l’entreprise et changer les rapports de propriété pour cesser d’avoir une politique économique asservie à la finance. Pour cela, il faut permettre à l’Etat d’investir massivement et une autre politique monétaire est donc nécessaire ainsi que l’annulation d’une partie de notre dette. Si la BCE s’y refuse, nous lui désobéirons comme à l’ensemble des traités pour mener notre politique de transition écologique et socialiste. Cela aboutira peut-être à notre exclusion de la zone euro. Cela nous ne nous fait pas peur. Les technocrates et les banquiers ont mené l’Europe dans le mur. C’est donc à eux d’en payer le prix.
Guillaume Etiévant est Secretaire National à l’économie du PG et co-auteur de « Que faire de l’Europe ? Désobéir pour reconstruire. » ATTAC/Fondation Copernic, éditions les liens qui libèrent
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