« Finissons-en avec les PPP, ces boulets que l’Etat s’accroche au pied »

Construction PPP

Dans une tribune publiée sur le site Rue 89, Hadrien Toucel et Mathilde Moracchini, auteurs de « Partenariats public-privé : pillage et gaspillage » (éd. Bruno Leprince, septembre 2014), présentent les enjeux liés aux Partenariats Public-Privé.

Lors du premier épisode de l’abandon de l’écotaxe, « reportée sine die », Ségolène Royal lançait tous azimuts des propositions aussi diverses qu’improvisées afin de compenser le manque à gagner.

S’ouvre à présent l’épisode 2, au cours duquel le gouvernement tente le rapport de force pour limiter les surcoûts occasionnés par la rupture du contrat avec Ecomouv : en effet, sortir du partenariat public-privé (PPP) avec la société Ecomouv implique le paiement d’une compensation qui pourra atteindre plus d’un milliard d’euros aux frais des contribuables.

Au-delà de cet immense gâchis d’argent public, qui implique la responsabilité de ce gouvernement mais également de la majorité précédente, l’absurdité de la situation révèle les failles intrinsèques aux « partenariats publics-privés » – au moment même où gouvernement et collectivités envisagent de les multiplier pour des services publics essentiels.

A l’encontre de l’intérêt général

Le principe du contrat en partenariat public-privé consiste à confier à un opérateur privé la maîtrise d’ouvrage et l’exploitation d’un équipement collectif contre un loyer de longue durée. Ce dispositif est autorisé depuis 2004 en France.

Or, le bilan de ces contrats est à observer de près : les PPP se sont systématiquement avérés :

– plus coûteux (le prix de la transaction représente le triple d’une procédure classique d’achat, et les cabinets de consultants coûtent en moyenne sur les petits projets 10% de l’ensemble de l’investissement) ;

– moins performants pour les usagers et les agents ;

– antidémocratiques (bloqués sur des décennies, impossibles à adapter à l’évolution des besoins) ;

– et monopolistiques (92% des contrats PPP vont à trois entreprises, Eiffage, Vinci, Bouygues).

En somme, ils vont à l’encontre de l’intérêt général.

Inédit depuis l’Ancien Régime

L’écotaxe est un exemple parfait de ces dérives. Avec 3,2 milliards d’euros versé sur treize ans à la société Ecomouv, elle permettait – chose inédite en France depuis l’Ancien Régime – à un acteur privé de collecter une taxe en s’arrogeant une commission de 20% (soit vingt fois le taux moyen de recouvrement de l’impôt en France), et demeurait comme tous les PPP protégé par le secret commercial, interdisant tout contrôle citoyen.

Déjà, en avril 2014, le mythe des PPP éclatait avec la résiliation du PPP du Centre hospitalier sud-francilien avant son terme pour la modique somme de 800 millions d’euros au profit d’Eiffage. Le motif ? Huit mois de retard, près de 8 000 malfaçons constatées, une réévaluation à la hausse des loyers et du devis accrus de 100 millions d’euros… En bref, un désastre financier et sanitaire.

Puis, en juillet 2014, un rapport de la commission des lois du Sénat est venu s’ajouter aux nombreux documents à charge contre les PPP. Les termes employés sont sans équivoque : les sénateurs qualifient l’infrastructure PPP de « bombe à retardement budgétaire », « concurrençant les marchés publics classiques ou les délégations de service public », « infantilisants » entraînant « un renoncement par la personne publique à sa compétence de maîtrise d’ouvrage » et un « effet d’éviction des petites et moyennes entreprises et des très petites entreprises ».

Pourtant, ce constat d’échec et l’alarme tirée quant aux dangers des PPP se heurtent toujours aux lobbies et aux intérêts privés. Preuve s’il en est : un nouveau PPP a été signé en mai 2014 avec l’université d’Aix-Marseille pour un montant de 120 millions d’euros. Et plus récemment, c’est le ministère de la Défense qui annonce vouloir privilégier ces mêmes partenariats public-privé et ainsi privatiser une partie de notre sécurité nationale.

Les reniements de Hollande et Valls

Qu’il est loin le temps où François Hollande, en 2012, dénonçait les partenariats public-privé comme « un outil qui favorise la vie à crédit et le surendettement » et « un système qui a dérapé », ainsi que le temps où Manuel Valls s’opposait à la construction et à la gestion de l’hôpital sud-francilien par Eiffage. Le Premier ministre d’aujourd’hui soutient les PPP dénoncés hier.

Il est intéressant de constater que, conscients de l’opposition croissante envers les PPP, le gouvernement, les lobbyistes et les entreprises transnationales évitent soigneusement de prononcer l’acronyme. Ainsi le ministère de la Défense parle-t-il de « société de projet » au capital mixte, tandis que le « club des PPP » préfère parler de « CP » : contrat de partenariat.

L’adoption par l’Assemblée nationale de la loi Semop, le 7 mai, laisse présager de nouveaux cadeaux aux géants du BTP. La création juridique de Sociétés d’économie mixte à objet unique (Semou) permet à chaque collectivité « d’allier les valeurs de la gestion directe en redonnant à la collectivité la maîtrise de son service public et les atouts de la gestion déléguée en faisant appel aux compétences et à l’innovation d’un opérateur privé ».

Il s’agit donc de PPP déguisés, d’autant plus dangereux qu’ils échappent encore davantage à la régulation que les PPP classiques.

Par exemple, aucune obligation d’évaluation préalable pour les comparer avec la maîtrise d’ouvrage publique n’est imposée. Une maîtrise d’ouvrage par la personne publique apparaît complètement illusoire, car la partie privé pourra détenir jusqu’à 64% des parts de la Semou, soit la majorité, laissant les coudées franches au secteur privé pour opérer les décisions stratégiques et trancher les choix de services.

L’emballage change, les pratiques demeurent

Les Semou permettront cette situation ahurissante dans laquelle un partenaire privé, juge et partie, décidera et réalisera les travaux. Les Semou dérogeront à la règle de prise en compte de l’endettement sur le long terme, et permettront comme les PPP avant 2011 de faire de l’endettement caché. Protégés par le secret commercial, écartant les TPE et les PME, ces Semou servent les seuls intérêts des grands groupes privés. L’emballage change, les pratiques demeurent.

Après dix années qui ont permis de constater l’échec des PPP et leur non-conformité avec l’intérêt général, une prise de conscience et des mesures fortes s’imposent : il devient urgent de supprimer et interdire ce dispositif exorbitant pour les fonds publics et les contribuables.

Cette interdiction doit s’inscrire dans la loi, comme elle l’était avant la directive de 2004 puisque depuis 1985, la loi française interdisait de confier la conception et la construction d’un ouvrage à un même acteur pour limiter le poids des grands trusts.

Il est du devoir de l’Etat envers ses citoyens et contribuables de mettre fin au gaspillage et à l’inefficacité des partenariats publics-privés.

Pour aller plus loin :

– « Partenariats public-privé : pillage et gaspillage », éditions Bruno Leprince, septembre 2014 – http://www.graffic.fr/politique-a-gauche/158-partenariats-public-prive-9782364881020.html

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