« Vivent les offres d’emploi vacantes ! »

François Rebsamen

Dans une tribune publiée dans Le Monde le 19 novembre 2014, Hadrien Clouet, du Centre de sociologie des organisations (CNRS/ Science-Po), revient sur les propos de François Rebsamen, ministre de l'emploi. Il remet en cause son analyse des chiffres de l'emploi, en particulier des "offres d'emploi vacantes". 

Dans le « 7/9 » de France Inter le mercredi 19 novembre, un échange sybillin a eu lieu entre le journaliste Patrick Cohen et François Rebsamen, ministre de l’Emploi. Au premier qui pointait en France « un des taux d’emplois vacants les plus faibles d’Europe », le ministre répondait « Qui a dit ça ? Personne n’a dit ça. Je vais vous reprendre sur le nombre d’emplois non pourvus. Une enquête de septembre 2013 fait apparaître qu’il y a 400000 emplois non pourvus et abandonnés parce qu’ils ne trouvent pas de réponse ». Ce court dialogue appelle trois clarifications.

Premièrement, François Rebsamen reprend le poncif déjà martelé par ses soins début septembre sur les emplois non pourvus. Apparemment, la situation a gravement empiré, puisque ces emplois se seraient accrus de 350 000 à 400 000 en deux mois, soit 14 % de hausse. Les « emplois non pourvus », on le sait, sont un artefact statistique : considérant que Pôle emploi accueille 38 % des offres en France, les 126 000 offres non pourvues par cet organisme sont multipliées par trois pour aboutir à 350 000 ou plus – selon les besoins du moment. Or, les offres à Pôle emploi sont les plus difficiles à pourvoir, et on ne saurait les extrapoler grossièrement. Elles oublient notamment le rôle des trappes à pauvreté (500 000 chômeurs ont renoncé entre 2007 et 2011 à un emploi face aux coûts en terme de logement, par exemple, selon La mobilité professionnelle bridée par les problèmes de logement, Régis Bigot, Sandra Hoiban, Crédoc, 7 novembre 2014) et négligent l’existence d’offres peu acceptables (de l’aide ménagère deux heures par semaine compte autant dans les emplois non pourvus qu’un CDI à temps plein). Il s’agit, au final, de disculper les politiques d’emploi et pointer la responsabilité des chômeurs.

Pourtant, la présomption de responsabilité peut être renversée. Les employeurs ne sont-ils pas également en cause dans le non-pourvoi, si les offres qu’ils proposent ne sont acceptées par aucun demandeur d’emploi ? Le maintien d’un taux d’emplois non pourvus indique simplement que les chômeurs ne sont pas réduits à travailler dans n’importe quelles conditions, et que les conseillers à Pôle Emploi ne les redirigent pas vers des postes où le rapport salaire/qualification serait hors norme. Est-ce une si mauvaise nouvelle ?

En outre, en adoptant le chiffrage de François Rebsamen, selon lequel 400 000 offres seraient annuellement non pourvues, une comparaison avec les 21 millions d’embauche est très rassurante : plus de 98 % des offres d’emploi trouveraient ainsi preneur ! L’inquiétude quant à la motivation des chômeurs semble donc hors de propos…

DEUX RÉALITÉS DIFFÉRENTES

Deuxièmement, les interlocuteurs du 7/9 évoquent des réalités différentes, entre emplois vacants et emplois non pourvus. Les offres d’emplois non pourvues qu’évoque François Rebsamen sont des postes proposés, puis retirés par l’employeur faute de candidat retenu. Les offres d’emplois vacantes, sur lesquelles Patrick Cohen interroge le ministre, représentent autre chose : l’ensemble des postes, à un moment donné (donc sans suivi dans le temps), qui sont nouvellement créés, vides ou bientôt vacants, à pourvoir dans un délai donné. Cette distinction change tout. François Rebsamen invoque dans sa réponse le rapport Emplois durablement vacants et difficultés de recrutement, du Conseil d’orientation pour l’emploi (septembre 2013). Pourtant, il se trompe, car le rapport indique, page 26 : « le concept « d’offres non pourvues », souvent assimilé aux emplois vacants, est équivoque et n’est mesuré par aucun indicateur précis ».

Troisièmement, tandis que le ministre s’empare d’un chiffre fragile et peu significatif en invoquant les emplois non pourvus, Patrick Cohen soulève une question cruciale. Les emplois vacants sont, eux, éminemment souhaitables. Lorsque le nombre d’emplois vacants à un moment donné est élevé, les emplois disponibles ou en voie de création sont nombreux. Et il est difficile de reprocher aux chômeurs de ne pas accepter des emplois… en voie de création. S’appuyer sur le nombre des emplois vacants pour justifier un renforcement des contrôles sur les chômeurs constitue donc un contresens absolu.

Par ailleurs, la France est effectivement en queue de peloton européen concernant les emploi vacants. « Personne ne dit ça », d’après le ministre. C’est pourtant la conclusion des travaux d’Eurostat (« Euro area job vacancy rate up to 1,7 % », Eurostat News Release Euro Indicators n°94, 17 juin 2014). D’après ces données, seules l’Italie, la Pologne et la Lettonie ont un marché du travail avec moins d’offres vacantes que la France. Sachant qu’un grand nombre d’offres vacantes indique un grand nombre de créations d’emplois, il serait souhaitable, plutôt que de pourfendre comme le fait le ministre les emplois non pourvus en les confondant avec les emplois vacants, que le nombre d’emplois vacants s’accroisse en France !

Mais même ce chiffre est à prendre avec des pincettes. Son évaluation est en effet généralement majorée, car une même offre peut être déposée à Pôle emploi et en agence d’intérim. Soit deux postes vacants pour une seule offre réelle. Le cas des appels d’offres est tout aussi criant : si trois entreprises y postulent, chacune préparera un poste (un « emploi vacant ») alors qu’un seul emploi verra effectivement le jour. Soit trois postes vacants pour une seule offre réelle.

En somme, les emplois non pourvus représentent un calcul au doigt mouillé, tandis que le volume d’emplois vacants demeure, lui, bien trop faible. Le ministre se trompe de cible, et récidive dans la stigmatisation des chômeurs.

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