« Emprunts toxiques : le gouvernement est passé en force »

finance toxique Dans le magasine "Politis" paru le 18 septembre 2014, Boris Bilia et Nessim Mouhoubi publient une tribune sur les emprunts toxiques du gouvernement. 

Fait rare dans la pratique législative, le Parlement a adopté au mois de juillet dernier une loi rétroactive qui défait la jurisprudence favorable aux collectivités dans le dossier brûlant des « emprunts toxiques ». Le gouvernement a ainsi choisi de passer en force pour privilégier les intérêts des grands groupes bancaires. Ces contrats opaques associent un emprunt à des produits dérivés, principalement d’obscurs portefeuilles d’options. Souvent, le taux est faible les premières années, avant de s’envoler au-delà de 15 %, sans que cela ne soit explicité dans les contrats. D’après la Cour des comptes, ces emprunts représentent un encours total de 12 milliards d’euros : c’est plus que l’ensemble des investissements des régions en 2013. Pour sortir de ces emprunts, les collectivités doivent s’acquitter d’une indemnité prohibitive, qui est reversée in fine à de grands investisseurs comme Goldman Sachs ou Deutsche Bank.

Depuis 2013, les tribunaux ont régulièrement condamné les banques qui n’avaient pas respecté l’obligation de mentionner le taux effectif global (TEG). En février 2013, le tribunal de grande instance (TGI) de Nanterre a condamné Dexia contre le conseil général de Seine-Saint-Denis. En 2014, ce jugement a été confirmé et étendu par le TGI de Nanterre et le TGI de Paris. La loi de juillet dernier remet en cause ces décisions, en validant rétroactivement les contrats toxiques sans TEG transparent. Le gouvernement rend donc impossible pour les collectivités tout recours contre ce manquement des banques. La faillite de Dexia a dressé l’État contre les collectivités. Lors du démantèlement du groupe, en décembre 2012, les emprunts toxiques ont été confiés à la Société de financement local (SFIL), détenue à 95 % par l’État. Aussi, Bercy a craint un risque pour les finances publiques devant la multiplication des jugements favorables aux collectivités.

Le projet de loi de finances 2014 proposait déjà une première mesure favorable aux banques, mais elle a été censurée par le Conseil constitutionnel. Ce projet s’accompagnait d’un fonds de soutien aux collectivités de 100 millions d’euros par an sur quinze ans. Au-delà de l’insuffisance de son montant, l’accès aux fonds était conditionné à l’abandon des procédures judiciaires : un véritable revolver sur la tempe des collectivités. La loi du 29 juillet a constitué le match retour pour le gouvernement. Cette fois, elle a pu être adoptée en procédure accélérée et dans le creux de l’été, de façon à faire passer en toute discrétion une loi injuste, honteuse et illégitime.

Loi injuste, car elle supprime le droit fondamental à un procès équitable : l’État règle par la voie législative des contentieux dans lesquels il est l’accusé. Cela remet en cause la séparation des pouvoirs et souligne le caractère peu démocratique des institutions de la Ve République. Plusieurs collectivités envisagent donc de saisir la Cour européenne des droits de l’homme. Loi honteuse, parce qu’impossible à assumer par un Parlement trahi. En 2011, la commission d’enquête parlementaire bravait les banques, préconisant un plafonnement des taux d’intérêt, au-delà desquels les banques paieraient : « Les banquiers prétendent que ces prêts ne sont pas dangereux. Prenons-les au mot ! », clamait Claude Bartolone. Loi illégitime, car l’asymétrie est de plus en plus criante entre un pouvoir politique défait et un pouvoir bancaire triomphant, symbolisé par la nomination d’Emmanuel Macron à Bercy. La dérégulation financière devrait siéger au banc des accusés. C’est pourtant le secteur public que l’on sacrifie, pour rassurer des investisseurs dégagés de tout contrôle démocratique. Ce renoncement est enfin caractéristique du climat d’hostilité envers des collectivités tenues responsables de tous les maux, et notamment des déficits publics, seul critère de décision des libéraux au pouvoir. En témoigne le plan d’austérité de 11,5 milliards d’euros réservé aux collectivités, alors qu’elles sont le principal investisseur public. Incapable de se conformer à des critères européens absurdes et récessifs, le gouvernement joue au comptable pyromane.

Face à un pouvoir politique discrédité et soumis aux oligarchies financières, les collectivités demeurent des lieux privilégiés de service public et d’innovation démocratique et sociale, qu’il convient de préserver. Il est grand temps de choisir le camp de l’intérêt général et de sortir les collectivités des fourches caudines de la finance !

 

Par Boris BiliaNessim Mouhoubi

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