Enjeux et problématiques d’une réduction du temps de travail

temps de travail

Les propositions du Parti de Gauche, avant l'Humain d'abord, prévoyaient dans le chapitre 17, point 2 (proposition 63) : « A terme, notre objectif sera de poursuivre le mouvement de réduction du temps de travail vers les 32 heures sur le modèle de la semaine de quatre jours. » Cela pose des questions, et exige un travail de cadrage.

I) Arguments théoriques

a) Augmenter la productivité.

  1. Hausse globale au niveau micro de la productivité horaire via 3 tendances et 1 contre-tendance :
  • + / « Effet fatigue » : la productivité horaire décroît avec la durée du travail (tendance dégageant des gains).
  • + / « Effet pauses » : la durée travaillée baisse toujours moins que la durée du travail (intensification liée aux effets de seuil d’une RTT) (tendance dégageant des gains).
  • + / Sensibilité aux loisirs : tendance à ne pas effectuer d’heures supplémentaires pour se garantir des espaces de temps libre, et donc à éviter les allongements horaires compensant la réduction de durée légale ((tendance dégageant des gains).
  • – / « Effet prise de poste » : la productivité marginale horaire peut avoir des rendements croissants, en cas de coûts fixes importants (ex : une machine qui coûte beaucoup à déclencher, se rentabilise au bout d’un certain nombre d’heures passées dessus). Gains de productivité du travail: une baisse de 1% du temps de travail diminuerait la production d’environ 0,6 à 0,7% pour une RTT inférieure à 35h.

       2. Maintien des coûts de production au niveau micro :

  • hausse des coûts par compensation salariale ;
  • potentielles augmentations des charges annexes: coûts d’embauche amortis au long de la carrière; effets de seuils sociaux (15, 50 ou 200 salariés) contourn.s si les seuils sont red.finis par rapport au nombre d’heures travaill.es et non par rapport au nombre de salariés ;
  • diminution du coût du capital par unité: amortissement plus rapide des investissements en équipement sans coûts supplémentaires de remplacement du fait de la rapidité de l’obsolescence :
  • la compensation salariale est potentiellement rentabilisée par les effets de la réduction du temps de travail (Cf. 2c) Conditions des 32h).

b) Chaîne logique : emploi, salaires, croissance

  • Effet à court terme « partage du travail » montré dans la figure 1, avec les simulations de RTT de la Dares. La cr.ation d’emploi varie avec l’intensité de la RTT : si le nombre d’heures travaillées ne change pas toutes choses égales par ailleurs (on répartit autrement le volume d’heures travaillées déjà existant), une RTT suffisamment ample induit des effets de seuil (ex : il est possible de faire en 35h le même produit ou service qu’en 39h au prix d’une intensification du travail, mais cela devient impossible en 32h, d’où obligation mécanique de création d’emploi liée à l’amplitude de la RTT). Mais effets secondaires potentiels à court terme en situation d’incertitude conjoncturelle :
  1. La durée d’utilisation des équipements (DUE) accrue liée à la RTT peut se substituer à moindre coût à un investissement risqué dans un contexte économique incertain : problème de confiance économique
  2. La réorganisation du travail offre plus de souplesse pour un ajustement imprévu de l’offre à la demande (marge de réduction des DUE au lieu de l’arrêt complet des équipements et du chômage technique) : flexibilité toutes choses égales par ailleurs
  3. L’augmentation de la DUE sur certains sites couplées à l’arrêt d’autres sites peut être une solution pour les entreprises, créant par conséquent du chômage technique.
  • Effet à moyen terme demeure positif, même s’il faut noter qu’en l’absence de réorganisation et de gains de productivité, la hausse des coûts de la RTT impacte défavorablement (1) inflation, pour cause de hausse du coût marginal du capital et inflation salariale liée à la baisse du chômage (aujourd’hui pas un problème, puisque nous souhaitons de l’inflation) et (2) activité, puisque la compétitivité des entreprises à forte intensité en travail diminue.
  • La hausse salariale (i.e. le maintien du salaire malgré la baisse du temps de travail) soutient la consommation. Néanmoins, elle requiert des mesures d’accompagnement pour les petites et moyennes entreprises, comme des exonérations de cotisations. Si elles sont coercitives et uniquement attribuées après création nette d’emplois – et pas d’équivalents temps plein – les dépenses publiques sont abondées par le choc de consommation) La RTT peut jouer le rôle d’une relance non-inflationniste par rapport à des hausses monétaires de salaires nominaux, et un choc de demande accroît le volume d’heures travaillées global.
  • Les gains de productivité induits par la RTT stimulent la croissance. Ces gains relèvent des innovations organisationnelles : extension de la succession des équipes de travail, accroissement de la durée d’utilisation des équipements… produisent une baisse du coût marginal du capital.
  • Les gains pour les finances publiques permettent de transférer les allocations chômage vers de la création d’emploi public.
  • Derrière la hausse directe des salaires nets, la baisse du chômage améliore le pouvoir de négociation des salariés, donc partage de la valeur ajoutée en leur faveur (+ coûteux à court terme pour l’employeur d’embaucher un nouveau salarié, rare et cher, non-formé, que d’augmenter le salaire des travailleurs qui connaissent les rouages de son entreprise).
  • Une partie des emplois créés ne résulte pas de l’embauche compensatoire directe (des fractions de plusieurs emplois à durée diminuée qui créent un emploi nouveau) mais de nouvelles activit.s qui se d.veloppent via la réorganisation des entreprises (RH, ergonomie…), la hausse des horaires flexibles (transport…) et l’augmentation des temps libérés (loisirs…).

II) RTT passée, RTT future

a) 35 heures

– Insee : 35 heures ont engendré un solde net positif direct de 350 000 emplois (Gubian, Jugnot, Lerais, Passeron, Economie et statistique n° 376-377, juin 2005).

– Rajouter les effets indirects (pas d’étude à ce propos), qui émanent de la hausse de la consommation causée par la baisse du chômage, et les investissements publics (embauches de fonctionnaires avec l’argent des allocations chômage récupéré).

b) Enjeux des 32h

– Un projet de société d’amélioration des conditions de vie et de partage de l’emploi

  • améliorations des conditions de vie des travailleurs tout en d.veloppant les plages horaires d’activité economique
  • modification des rythmes de vie: tendance à l’adoption de la semaine de 4 ou 5 jours pour le salarié et 6 jours pour l’équipement, donc d.veloppement du travail le samedi et la nuit (problématique).

– Un projet économique viable

  • la compensation salariale intégrale est compatible avec la création d’emplois si le gain de productivit. du capital (augmentation de la DUE) est suffisant
  • amélioration de la croissance du PIB, des prix et de l’emploi (conjugaison de l’allongement de la DUE et de l’effet de partage)
  • amélioration importante des finances publiques
  • passer d’une semaine de 5j (5×8=40h) à une semaine de 4,5j (35h) : difficulté d’agenda et ergonomique. La semaine de 4 jours est plus simple à organiser. => la RTT induit une amélioration des conditions de travail ainsi que de l’emploi (entre 300 000 et 600 000 emplois nets) si accompagn.e de politiques .conomiques de relance de l’activité pour améliorer durablement la conjoncture

– Réduction de 35h à 32h = -8%. R.duction moins .lev.e que le mouvement 39h → 35h de 10 % (vs. argumentaire « c’est une baisse drastique du temps de travail »).

  • En réalité, il faudra refaire appliquer les 35h, donc la baisse sera effectivement élevée.
  • inciter les entreprises à ne pas avoir recours de manière généralisée aux heures supplémentaires, prévues pour des ajustements conjoncturels, pourrait créer 200 000 à 300 000 emplois à moyen terme
  • renforcement de l’Inspection du travail pour faire respecter la réglementation sur les heures supplémentaires, et plus généralement sur le temps de travail

– Possible avec la hausse du SMIC ? Il faudra sans doute arbitrer entre SMIC à 1700 euros nets et diminution du temps de travail à salaire constant. Cette dernière correspond déjà à une hausse de salaire horaire réel de 8%, qui ne se répercutera toutefois pas autant sur le revenu net mensuel, via la baisse logique du volume d’heures supplémentaires.

  • Plan : dans un premier temps, rétablir immédiatement les 35h (i. e. pénaliser lourdement les heures supplémentaires), avant de réduire à 32h le seuil de déclenchement des heures supplémentaires au cours d’une négociation de 2 années. Nécessité d’accroître le pouvoir des salariés pour améliorer la mise en place de la RTT.

c) Conditions des 32h

– Maintien du salaire 35h (soit +8% salaire horaire).

– Maintien des dépenses étatiques (exonérations etc…, que nous envisageons d’ores et déjà de supprimer en grande partie) : possibilit. d’exon.rer de cotisations patronales sur preuve d’un taux d’embauche de 8% ? (l’argument des prêts à faible taux du pôle public bancaire est déjà utilisé pour financer la transition de la hausse massive du SMIC à 1700 euros bruts).

– Le financement

Les diverses sources de financement:

  • les entreprises: compensation salariale int.grale induisant un équilibrage de la répartition des profits entre les salaires et les dividendes (nécessité de mesures pour que cette équilibrage ne soit pas répercuté sur les prix)
  • les caisses publiques: participation au financement de la RTT dans le cadre de la lutte contre le chômage, par la réduction des cotisations UNEDIC pour les PME par exemple (coûts supplémentaires compensés par la réduction des allocations chômage)
  • les gains de productivit. tendanciels du travail: les gains de productivité du travail indépendants de la RTT de 2 à 2,5% par an en moyenne compensent la RTT sans création d’emploi mais sans coût supplémentaire
  • les gains de productivité du travail induits par la RTT: une baisse X du temps de travail r.duit la production de l’ordre de 0,3X, compensant la RTT sans création d’emplois mais sans coût supplémentaire.
  • les gains de productivité du capital: les r.organisations du travail permettant l’allongement de la DUE qui peut compenser les coûts unitaires, voire les abaisser, malgré la RTT (nombre réduit d’entreprises)
  • importance de la prise en compte des spécificités de chaque entreprise (taille, secteur…)

Les financements à privilégier:

  • ne pas affaiblir l’offre: importance du maintien des coûts unitaires globaux (le financement par les entreprises doit épargner les PME dont les profits passent quasiment entièrement en investissement et en coûts de production mais largement peser sur les entreprises distribuant des dividendes) ;
  • ne pas affaiblir la demande: importance du maintien des salaires (y compris pour les cadres, qui ne voient souvent dans la RTT qu’une réduction de leur salaire et non de leur temps de travail puisque nonprescrit, via forfait-cadre)
  • ne pas grever les fonds publics (gager les incitations financières publiques sur la réduction des coûts liée à la baisse du chômage notamment)

d) La flexibilité choisie

– Source d’une vraie marge permettant aux entreprises de passer sans vraie difficulté aux 32h, il convient d’insister au maximum sur le volet organisationnel. Pour ça, plusieurs sortes d’accords d’entreprises sur les 32h peuvent être proposées, autour de conventions-types de la puissance publique (journées de 8h) choisies par les salari.s

– en effet, certains métiers ne peuvent se limiter à 8h par jour automatiquement, pour des raisons extérieures à la volonté du salarié (transport routier, santé… dépassent régulièrement les horaires prévus) :

  • 32h hebdomadaires en 4 jours, pour beaucoup de métiers ;
  • 32h via un travail hebdomadaire de 5 jours et 1 semaine sur 5 de libre (santé…) ;
  • 32h via une alternance entre semaine de 3j et semaine de 5j (transport…) ;
  • 32h en semaine de 5j avec un week-end de 4j toutes les deux semaines ;
  • 32h via 1 mois sur 5 de libre (recherche…) ;
  • 32h via 1 année sur 5 de libre… (qui peuvent être aussi transférées comme retraite anticipée)… ;

– l’abaissement des horaires individuels

  • redéfinir le temps partiel pour plus de souplesse organisationnelle: modifier les seuils de définition du statut de temps partiel, à partir de 1h en dessous du seuil hebdomadaire légal
  • faire du temps partiel un temps choisi plut.t que subi: salaire horaire identique au temps plein, protection sociale identique, droit à changer de durée de travail (modifier le nombre d’heures du temps partiel, leur répartition hebdomadaire ou revenir au temps plein)
  • mesures incitatives par les pouvoirs publics, mais inferieures à celles valables pour les embauches . temps plein
  • usages potentiels du temps partiel: temps partiel de formation à l’entrée sur le marché du travail (substitut efficace au stage), temps partiel de pré-retraite (salaire partiel + retraite partielle permettant une transition de l’activité économique à temps plein à l’inactivité et un partage de l’emploi sans perte de revenu) => encourager (ou imposer?) les embauches pour maintenir la masse salariale et ne pas augmenter la charge de travail des autres salariés

e) Argument-clé.

Toute organisation productive souffre d’un exc.s de travail dans certaines zones de production, et d’un manque de travail dans d’autres (rigidités, héritage de politiques industrielles passées dont la réorientation est longue, maintien dans l’emploi de personnes en surplus par rapport aux objectifs de production car cela coûte moins cher qu’un licenciement…). Aucune organisation disposant d’une histoire économique de quelques ann.es n’est . optimale . dans la répartition des facteurs travail et capital.

Or, la RTT permet de dépasser ces deux problématiques, à condition de ne pas imposer de recrutements uniformes dans toutes les zones de l’entreprise:

 Elle diminue les durées de travail en surplus dans certaines zones ;

 Elle permet des recrutements dans les zones déficitaires en travail.

Références des chiffres :

  • Dominique Taddéi, Rapport au Conseil économique et social, commentaires de Michel
  • Didier et Jacques Freyssinet, 1997.
  • Dominique Taddéi, La réduction du temps de travail, 1998.
  • Dominique Taddéi, Gilbert Cette, Temps de travail, modes d’emplois, vers la semaine de quatre jours ?, La Découverte, 2010

Par Hadrien Toucel et Florent D

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