BPI: le renoncement

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Le projet de « Banque Publique d’Investissement » (BPI) était le premier des 60 engagements du programme de François Hollande. Complètement vidé de sa substance sous la pression des milieux financiers, ce projet de BPI, examiné le 28 novembre par l’Assemblée Nationale, exprime une fois de plus le renoncement du gouvernement Ayrault. Un projet alternatif, beaucoup plus ambitieux, existe pourtant. 

 

Un projet élaboré en toute opacité

Au mois de mai dernier, François Hollande déclarait : « Mon ennemi, c’est la finance ! ». Quatre mois plus tard, il confiait à la banque d’investissement privée Lazard le soin de tracer les contours de la future banque publique, et ce sans aucun appel d’offre préalable.

Le dirigeant de Lazard, Mathieu Pigasse, est pourtant à l’origine de la fusion catastrophique des caisses d’épargne en 2006 avec la création de Natixis, qui fut l’un des plus gros désastres bancaires français : pas moins de 6 milliards de pertes faisant suite aux spéculations sur les fameux crédits américainssubprimes.

Comme sous Nicolas Sarkozy, c’est aux banquiers privés responsables de la crise actuelle, que l’on demande conseil. A l’inverse, les citoyens sont tenus à l’écart. Ainsi, le ministre des finances Pierre Moscovici a fait le choix d’une procédure d’examen accélérée. Il a toujours refusé de recevoir les représentants du Collectif pour un pôle public financier au service des droits, collectif regroupant une quarantaine d’organisations syndicales et associatives, salariés et professionnels du secteur bancaire public.

La nomination à la Présidence de la BPI de Jean-Pierre Jouyet, ancien Secrétaire d’Etat du gouvernement Fillon, n’est pas faite pour nous rassurer. Il en va de même pour la nomination au poste de directeur général de Nicolas Dufourcq, ancien directeur du cabinet de conseil Capgemini, société soupçonnée de conflits d’intérêts dans la mise en œuvre de la RGPP en 2007.

Une « banque » sous financée, regroupant des institutions préexistantes

Les banquiers d’affaire s’opposaient à l’émergence d’une banque publique d’envergure qui compte tenu de l’excessive concentration du secteur bancaire (en France, 6 banques contrôlent 90% des dépôts), les aurait forcé à réduire leurs rentes. Ils ont de quoi être rassurés.Bpi1

La BPI regroupera des organismes publics préexistants (Oséo, Fonds stratégique d’investissement et CDC Entreprises) pour une dotation totale de 42 milliards d’euros, dont 90% environ sont déjà investis. Ainsi, seuls 4 milliards d’euros correspondent à des fonds nouveaux.

Ces 42 milliards d’euros représentent à peine 2% du total des crédits distribués par les banques chaque année, et pas plus de 5% pour ce qui est du financement des entreprises. L’équivalent Allemand de la BPI, KfW, dispose elle d’une capacité d’investissement 10 fois supérieure avec une dotation de 437 milliards d’euros. C’est dire l’insignifiance de ce projet.

Par ailleurs, la BCI ne disposera pas de « licence bancaire ». Cela signifie qu’il lui sera interdit de se refinancer auprès de la BCE, laquelle a pourtant déjà prêté 1000 milliards d’euros aux banques privées à des taux inférieurs à 1%, et ce sans aucune contrepartie.

Enfin, la BPI ne sera pas une banque « généraliste », c’est-à-dire qu’elle n’offrira pas de services aux particuliers ou aux collectivités locales, ce qui la distingue de l’ambitieux projet de « Pôle Financier Public » porté par le Front de Gauche. Ceci est d’autant plus préoccupant que Dexia et le Crédit Immobilier de France (CIF), chargés respectivement du financement des collectivités locales et du logement social, ne sont toujours pas remplacés après leur naufrage.

L’absence de critères sociaux et environnementaux.

Aucun critère social et environnemental n’a été fixé quant au ciblage des investissements. La BPI reproduira donc l’ancien système de financement « à la marge » des PME et des grandes entreprises jugées « innovantes ». Son mandat comprendra la « stabilisation de l’actionnariat des grands groupes stratégiques » mais pas le maintien ou la création d’emplois en tant que tel.

Une étude d’impact du ministère des Finance prévoit la création d’à peine 60 000 emplois d’ici 2020, soit environ 10 fois moins que les résultats obtenus par la Banque de France en terme de médiation du crédit. La mission Parent recommandait déjà que la BPI ne soit pas « la banque du sauvetage des entreprises en difficulté ». De fait, elle ne financera pas les entreprises comme Petroplus ou Florange pour lesquelles un soutien productif de l’Etat eut été nécessaire.

Pour Alain Rousset, président PS de l’association des régions de France et candidat à la présidence du Comité d’orientation de la BPI, cette dernière pourra financer des « investissements ou des licenciements ». Quant à J. P. Jouyet il n’imagine pas que la BPI puisse s’occuper des « canards boiteux ». Le gouvernement choisit ses volatiles : d’un côté le « pigeon », cet exilé fiscal qui pourra à loisir se gaver de plus-value ; de l’autre le vilain petit canard, ouvrier de l’industrie, qui mérite tout au plus sa prime de licenciement.

Par ailleurs, la gouvernance de la nouvelle institution laisse peu de place au contrôle démocratique et social sur les décisions d’investissement. Ainsi, les salariés seront sous représentés au Conseil d’Administration de la BPI : seulement 2 membres sur 15, contre 3 sièges réservés aux personnalités qualifiées. Les représentants des salariés seront également absents des comités régionaux.

Des alternatives existent.

Ne l’oublions pas, la crise a pour origine l’irresponsabilité des banques et leur incapacité à investir socialement l’épargne des ménages. Elle justifiait dès 2008 la mise en place d’un Pôle Financier Public (PFP). Depuis le début de la crise, le secteur privé cherche avant tout à éponger ses dettes. La relance de l’économie doit venir de l’investissement public associé à un contrôle démocratique de l’épargne populaire.

De nombreux outils permettraient d’atteindre l’objectif d’un Pôle Financier Public aux capacités d’intervention au moins égales à celles de son homologue allemande (437 milliards). Il existe ainsi de nombreux gisements d’épargne laissés à la libre disposition des marchés financiers. L’encours des contrats d’assurance-vie représente à lui seul 1400 milliards d’euros. Or, selon la Cour des Comptes, seul 7 % de ses fonds sert à financer les sociétés implantées en France, dont moins de 2% les PME.

Par ailleurs, depuis l’application d’un décret de mars 2011, sur les 330 milliards d’euros d’épargne réglementée (livret A), plus de 115 milliards d’euros (35%) sont directement captés par les banques commerciales sans aucune contrepartie d’intérêt général. Aucun outil public ne permet actuellement de vérifier l’usage de ces fonds. L’annulation de ce décret permettrait de récupérer 100 milliards d’euros de dotation supplémentaire pour financer des priorités d’intérêt général.

Outre les 30 milliards d’euros de nationalisation des activités de dépôt des grandes banques privées que nous proposons dans notre Contre Budget, il serait également possible de lui adosser d’autres acteurs publics ou semi-publics du secteur financier comme l’AFD, la Banque Postale, la BDF, ou la Coface.

Comme nous le défendions lors de la campagne électorale, le Pôle financier public serait soumis au respect de critères sociaux et environnementaux élaborés en lien avec les associations, les représentants des salariés, et les citoyens concernés. Une surveillance démocratique des projets engagés par le Pôle serait assurée. L’initiative du Collectif pour un pôle public financier au service des droits est particulièrement encourageante sur ce plan.

En définitive, une politique ambitieuse de contrôle démocratique de l’épargne et de l’investissement public éviterait à la France de s’engager dans cette « décennie perdue » vers laquelle le gouvernement Ayrault nous entraine chaque jour un peu plus.

Sandro Poli, co-président de la commission économie du Parti de Gauche (sandro.polieco@gmail.com)

Crédit Infographie : Directmatin.fr parution du 17 octobre 2012

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