Le (non) droit du travail en prison

travail prison

Dans cette analyse, Laelia Veron, membre du Genepi, souligne les conséquences sociales de l'absence de droit du travail en prison et compare les différences de politiques carcérales européennes en la matière. Plus généralement, le travail en prison est révélateur des mécanismes d'exploitation du travail par le capital.

  • La prison comme zone de non-droit : le cas du travail

1. Pas de contrat de travail mais un « acte d’engagement » professionnel, avec des termes très flous, sans protection juridique : ainsi les détenu-e-s ne sont pas renvoyés, mais déclassé-e-s. Ils/elles ne sont donc pas bénéficiaires du minimum de législation sociale de droit commun.

2. Aucun droit d’indemnité en cas de chômage technique, d’arrêt maladie, d’accident du travail. Les détenu-e-s peuvent ne plus être appelé-e-s, en cas de chômage technique, aux ateliers, sans justification et sans indemnité. Bien souvent, les détenu-e-s racontent qu’on ne les appelle plus pour travailler pendant quelques jours, voire quelques semaines, sans qu’ils/elles sachent pourquoi, sans date de reprise, etc.

3. Pas de salaire minimum, un salaire extrêmement bas : l’administration pénitentiaire n’applique pas les taux de rémunération prévus par la loi pénitentiaire de 2009 (des taux annexés sur le SMIC à la baisse). Très souvent la rémunération se fait à la pièce en atelier, et par un forfait journalier au service général (entretien de la prison, voir ci-dessous). En général, le salaire tourne autour de 1 à 3 euros de l’heure. Dans le cas de travail délégué par un concessionnaire, peu importe le temps passé par le détenu au travail, c’est le nombre de pièces produites qui fixe la rémunération. Si le concessionnaire décide que 100 pièces soient produites, avec le prix de la pièce à 0,04 euros, que le/la détenu-e mette une heure ou deux euros, il/elle sera payé-e 2, 10 euros pour cent pièces.

4. Prélèvements sur les rémunérations brutes : pas de cotisation chômage, puisque les détenu-e-s n’ont pas le droit au chômage. Cependant les détenu-e-s sont soumis-es aux autres cotisations sociales, comme les travailleurs libres : cotisation sociale généralisée (CSG) à hauteur de 5,7% de leur salaire brut, cotisation de remboursement à la dette sociale (CRDS) à hauteur de 0,5%, assurance vieillesse (6,75%), cotisation à l’assurance maladie (mais moindre qu’à l’extérieur, 4,2% au lieu de 12,8%)

5. Prélèvements sur les rémunérations nettes : 20% à 25%  sont prélevés pour la rémunération des parties civiles, 10% sont bloqués pour être placés sur le pécule de libération (compte bloqué dont le montant est fourni aux détenus à leur libération) En 2010, les rémunérations nettes des détenu-e-s n’ont pas dépassé en moyenne 318 euros par mois pour un équivalent temps plein.

6.  Pas de possibilité d’expression collective ou de représentation syndicale : toute action collective est rigoureusement interdite en prison. Les détenu-e-s ne peuvent pas faire grève, se constituer en syndicat, et participer à un CHSCT, ils/elles ne peuvent défendre collectivement leur droit. Toute participation à une action collective ou le fait d’inciter d’autres personnes à y participer constitue une faute disciplinaire de 2e degré.

7. Pas de protection par l’inspection du travail L’inspection du travail peut intervenir en prison, mais seulement pour contrôler l’application des règles d’hygiène et de sécurité, mais rien qui relève du Code du travail (rémunérations, conditions d’embauche, etc).

  • Des tâches répétitives, non qualifiantes, qui n’ont parfois plus cours à l’extérieur.

Service général : travaux d’entretien ou de vie quotidienne à l’intérieur de l’établissement (ménage, cuisine, nettoyage, entretien du linge, responsable de bibliothèque, coiffeur, écrivain public). Les détenu-e-s sont appelés « auxiliaires » lorsqu’ils travaillent au service général. Formations rémunérées (peinture, plomberie, etc).

Travail pour des concessionnaires privés. L’administration pénitentiaire met à la disposition des concessionnaires privés des locaux et leur procurent la main d’œuvre pénale, moyennant redevance. Les entreprises installent leur matériel et assurent en théorie la formation et l’encadrement (mais ce sont souvent des personnels de l’AP –Administration Pénitentiaire- qui encadrent). L’entreprise paye l’AP qui paye les détenus. Il s’agit de travaux de manufacture ou de production industrielle ne nécessitant aucune qualification : pliage, découpe, collage, mise sous pli. En marge des travaux de manufacture, des activités du secteur tertiaire se développent, notamment les centres d’appels téléphoniques (vente, enquête de satisfaction, etc). Exemples de concessionnaires : MKT Societal, Orange, Médecins sans frontières…

  • Les détenu-e-s et le travail

1. Un droit théorique. Selon le Code de procédure pénale, « au sein des établissements pénitentiaires toutes dispositions [doivent être] prises pour assurer une activité professionnelle (…) aux personnes incarcérées qui en font la demande». L’offre ne correspond pas à la demande mais la DAP (Direction de l’Administration Pénitentiaire) refuse de communiquer des données sur le nombre de personnes détenues souhaitant travailler.

2. Un travail non accessible à tou-s-tes : pour les mineurs l’accent doit être mis sur la formation. Mais des limites existent aussi pour les prévenu-e-s (personnes non jugées) : ils/elles ne peuvent travailler que sur accord du magistrat saisi du dossier de la procédure et ne peuvent être affecté-e-s au service général. Sachant que les prévenu-e-s peuvent attendre des années avant d’être jugé-e-s, cette mesure peut mettre bon nombre de détenu-e-s dans des conditions d’existence très difficiles. De plus, les demandes de travail doivent être adressées de préférence par écrit au responsable du travail dans la prison ou au chef d’établissement : cela rend la démarche plus difficile pour les détenu-e-s étrangers/ères ou illettré-e-s. La commission a toute latitude pour donner suite ou non à la demande, sans devoir se justifier, ce qui fait que le travail peut fonctionner comme punition ou carotte, et devenir un privilège.

3. Une nécessité pour survivre en prison : contrairement aux idées reçues, la vie en prison est chère (symboliquement, le papier toilette est payant…) Les détenu-e-s, outre les dommages et intérêts qu’ils peuvent devoir aux parties civiles, doivent acheter bon nombre de produits de première nécessité via ce qu’on appelle « la cantine », catalogue d’objets et de matières mises à disposition par l’administration pénitentiaire, le prix étant généralement de 30% en moyenne plus cher qu’à l’extérieur.

  • Exemples de manquements et d’abus signalés par les détenu-e-s 

1. Le manque de locaux : le travail peut se faire en cellule, et la table de la cellule devient la table de travail.

2. les conditions sanitaires : pas de médecin du travail, alors que les controleurs (ceux/celles qui encadrent les travailleurs à l’atelier) doivent souvent porter des charges très lourdes. Les textes prévoient souvent des protections (type gants) qui de fait ne sont pas disponibles.

3. le règne de l’arbitraire : on peut menacer les détenu-e-s de leur ôter leur travail, et donc leurs moyens de subsistance à tous moments, ce qui entraîne de nombreux abus, notamment au service général, où les détenu-e-s sont souvent surnommés les « esclaves de la prisons ». Par exemple : pas d’horaires, jours de repos non respecté (contrairement à l’atelier), pas de délimitation des tâches (les surveillant-e-s demanderaient aux détenu-e-s d’aller nettoyer leurs propres chambres), types de récompenses individuelles pour récompenser un travail non légal (faire le lit d’un(e) surveillant(e) = avoir une casserole en échange).

4. Les « bons » et les « mauvais » détenus : le travail devient un privilège. La commission ayant toute latitude pour refuser ou accepter une demande de travail, pour déclasser un-e détenu-e, le travail n’est plus un droit pour tous et toutes, mais une récompense si le-la détenu-e se comporte bien. Les travailleurs-euses ont des droits que les autres n’ont pas : avoir une douche tous les jours par exemple (contre une fois tous les trois jours pour le reste de la population carcérale).

5. La nécessité du choix : les horaires se chevauchent souvent entre travail, formation, école, promenade. Il faut choisir et les détenu-e-s ont très souvent du mal à aller aux cours et à travailler par exemple.

  • Des possibilités d’amélioration

L’OIP (Observatoire International des Prisons) avait préconisé l’appui sur le secteur de l’insertion par l’activité économique (IAE), habitué à former et accompagner des personnes éloignées de l’emploi dans le cadre des contrats aidés. C’était une option préconisée au Grenelle de l’insertion en 2008. Mais la loi pénitentiaire de 2009 (dernière grande loi qui règle le fonctionnement des établissements pénitentiaires) n’a pas débloqué de moyens ni organisé de structures pour que l’IAE puisse intervenir en prison. La raison est toujours la même : l’absence de contrat de travail en prison.

  • Des droits mieux respectés dans certain pays européens.

En Italie, le droit du travail existe en partie : congés payés, indemnités de chômage, prestations accidents du travail et maladie, etc. Il existe un salaire minimum : les rémunérations ne peuvent être inférieures de deux tiers à celles prévues par les conventions collectives. Pour facilité l’embauche, des exemptions du paiement des cotisations sociales et des dérèglements fiscaux sont consentis aux entreprises. Chaque contrat d’une durée d’au moins trente jours donne lieu à un crédit d’impôt, versé pendant les six mois qui suivent la libération si le contrat est maintenant. Les détenu-e-s peuvent faire grève et organiser des assemblées syndicales et y participer durant les heures de travail.

En Angleterre, même s’il n’y a pas de droits syndicaux, les travailleurs/euses ont la possibilité de présenter des réclamations individuelles ou collectives sur n’importe quel aspect des conditions de détention, dont le travail.

  • Batailles légales en cours

Le cas de Marilyn Moureau, employée par MKT Societal comme télé-opératrice à la prison des femmes de Versailles, déclassée en 2011 parce qu’elle avait passé un coup de fil personnel à sa sœur depuis son lieu de travail. Sans contester sa faute professionnelle, elle a porté plainte pour licenciement abusif et a dénoncé le montant de son salaire (entre 1,5 et 2 euros de l’heure). En 2013 le tribunal des prud’hommes lui a donné raison, avait considéré qu’il s’agissait d’un travail forcé et avait ordonné 6500 euros de dommages et intérêts. Mais le jugement qui, s’il était confirmé risquerait de faire jurisprudence et devoir changer la législation, est actuellement examiné en appel. « Si demain, vous imposez à une société de gérer un salarié détenu comme un salarié ordinaire, vous n’allez plus avoir beaucoup d’entreprises qui vont venir », avait averti à l’audience l’avocat qui représentait les employeurs. La détenue risque fortement d’être déboutée en appel.

Laelia Veron est membre du Genepi. Le Genepi est une association estudiantine qui se donne pour but d’œuvrer en faveur du décloisonnement des institutions carcérales par la circulation des savoirs entre les personnes incarcérées, ses bénévoles et la société.

Liens sur cette affaire :

http://www.lejdd.fr/Societe/Justice/Actualite/La-detenue-fait-plier-son-employeur-590689

http://www.huffingtonpost.fr/2014/03/20/travail-en-prison-detenu-pas-salarie-comme-un-autre_n_4992619.html

 

 

SOURCES PRINCIPALES :

  • Dedans/Dehors (magazine de l’OIP)
  • Le guide du prisonnier (OIP)

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