Le plein-emploi : un enjeu de santé publique

santé crise

Dans cette note très référencée, Hadrien Toucel explique, chiffres à l'appui, pourquoi le retour au plein emploi est un enjeu de santé publique.

 « Ce qui se livre ou se trahit, c’est le sentiment de délaissement, de désespoir, voir d’absurdité, qui s’impose à l’ensemble de ces hommes soudain privés non seulement d’une activité et d’un salaire, mais d’une raison d’être sociale et ainsi renvoyés à la vérité nue de leur condition. Le retrait, la retraite, la résignation, l’indifférentisme politique (les Romains l’appelaient quies) ou la fuite dans l’imaginaire millénariste sont autant de manifestations, toutes aussi surprenantes pour l’attente du sursaut révolutionnaire, de ce terrible repos qui est celui de la mort sociale. »

Pierre Bourdieu, Les chômeurs de Marienthal, Editions de Minuit, 1982.

I. Chômage et troubles

a) Processus de sélection

Les individus qui ont des difficultés mentales, psychologiques ou physiques préexistantes sont plus exposés au chômage. Ainsi les conduites alcooliques chez les jeunes adultes majorent les risques de chômage ou d’emploi peu qualifiés à faibles revenus.

Une personne qui occupe un emploi a beaucoup de risques de devenir chômeur ou inactif si problèmes de santé : risque multipliés par 4 pour les personnes souffrant d’une affection de longue durée et par 1,5 pour les personnes atteintes d’une maladie incapacitante.

b) Processus d’exposition objectif

Individus en marge du marché du travail voient leur santé mentale altérée :

  • Un épisode de chômage précoce prédit, 14 ans plus tard, des conduites d’addiction comme la consommation de tabac ou d’alcool, des problèmes somatiques comme les maux de tête, les plaintes gastriques, les allergies, les infections et enfin des symptômes psychologiques comme l’anxiété, le manque de concentration, les problèmes de sommeil, l’agitation, toutes choses égales par ailleurs.
  • Taux de prévalence, désordres psychologiques mineurs et dépression au niveau de la population OCDE : 9 % pour les personnes qui travaillent, 11 % pour les étudiants, 16 % pour les retraités, 18 % pour les personnes au foyer, 23 % pour les chômeurs.
  • Les chômeurs déclarent un épisode dépressif entre 1,4 et 2,1 fois plus souvent que les actifs occupés.

c) Santé déclarative

Les déclarations de santé des femmes au chômage d’entre 50 et 59 ans sont très mauvaises.

41% d’entre elles estiment ainsi que leur état de santé général est mauvais ou très mauvais, contre 28% de celles qui sont en emploi aux mêmes âges. Dans le même esprit, 23% déclarent des limitations dans les activités quotidiennes, contre 12%; 52% déclarent une maladie chronique, contre 43%; 38% se sentent déprimées, contre 26%.

II. Quand le chômage tue

a) Surmortalité

Surmortalité : doublement du risque de mortalité en cas de perte d’emploi8 – probabilité qui augmente avec le taux de chômage de la région de résidence (massification du chômage désespère ceux qu’elle affecte).

b) Suicide

Le chômage est à l’origine de comportements préjudiciables à la santé : stress, maladies physiques, pensées suicidaires.

La courbe des suicides accompagne la courbe du chômage :

  • Une hausse de 1 % du chômage s’accompagne d’une hausse de 0,14 % des suicides masculins (notamment 45-55 ans).
  • En Grèce, les suicides ont augmenté de 17 % depuis que le début de la crise.
  • En France, pour le docteur Michel Debout (Union Nationale de Prévention du Suicide, 2010), le chômage a été responsable de 750 suicides et 10.750 tentatives entre fin 2008 et 2010.

c) Morbidité exogène

Corrélée aux inégalités de logement (elles-mêmes liées au type de véhicule), la mort sur la route frappe les chômeurs plus fortement que le reste de la population.

III. Débouchés politiques

a) Lutter contre les causes

Interdiction licenciements boursiers ; veto suspensif ; rétablissement du monopole public de placement ; création d’emplois publics ; définanciarisation de l’économie, fin de la gabegie des aides publiques ; aides à la mutualisation (embauches mutualisées entre entreprises ou entre associations)…

Améliorer l’indemnisation ; rétablir deux corps de métier différents entre indemnisation et placement sur le marché du travail (ex-assedic / ex-ANPE) ; développer un véritable accompagnement ; lancer des (vraies) formations indexées sur les congés individuels de formation (CIF) qui délivrent diplômes ou titres reconnus (soit 600-800h)…

b) Suivi médical

  1. Développer une santé des chômeurs spécifique, avec recrutements (bien classé!) au concours de sortie de médecine ;
  2. Visites médicales & psychologiques régulières (santé physique, mentale, relationnelle, son évolution dans le temps) ;
  3. Intervenir médicalement lors des restructurations.

c) Créer de la solidarité

  1. Relancer (avec des spécialistes dédiés) les comités de liaison associations-Pôle emploi.
  2. Encourager les mobilisations de chômeurs.
  3. Organiser de la formation professionnelle collective pour les chômeurs.
  4. Orienter les emplois publics créés pour les chômeurs (« droit opposable à l’emploi » ?, « Etat employeur en
  5. dernier ressort ? ») vers des services d’accompagnement d’autres chômeurs.

d) Produire de l’information

Accroître et améliorer les statistiques du chômage selon différentes variables, notamment la santé (dépression, suicides, maladie, etc.) via un observatoire indépendant consacré.

 

Hadrien Toucel est membre de la Commission Economie du Parti de Gauche et responsable du groupe « travail et emploi ».

Sources:

Browning M., Heinesen E., « Effect of Job Loss Due to Plant Closure on Mortality and Hospitalization », Journal of Health Economics, 2012.
Gerdtham U.-G. et Johannesson M. (2003), « A Note on the Effect of Unemployment on Mortality », Journal of Health Economics, 22, n° 3, pp. 505-518.
Gomel B., , Santé & Travail, n°73, janvier 2011.
Morin T., intervention au Colloque « État de santé de la population, apports, limites et perspectives de l’Enquête décennale Santé » (04/12/07).
Hammarström A. et Janlert U. (2002), « Early Unemployment Can Contribute to Adult Health Problems : Results From a Longitudinal Study of School Leavers », Journal of Epidemiology and Community Health, 56, pp. 624-630.
Jusot F., Khlat M., Rochereau T., Sermet C. (2007), « Un mauvais état de santé accroît fortement le risque de devenir chômeur ou inactif », Questions d’économie de la santé, n°125, Irdes.
Mullahy J., Sindelar J. (1989), « Life-Cycle Effects of Alcoholism on Education, Earnings and Occupation », Inquiry, 26, p. 272-282.
Paul K. et Moser K. (2006), « Quantitative Reviews in Psychological Unemployemnt Research : An Overview », in T. Kieselbach, A.H. Winefield, C. Boyd et S. Anderson (eds), Unemployment and Health : International and Interdisciplinary Perspectives, Australian Academic Press.
Wanberg C., Glomb T., Song Z. et Sorenson S. (2005), « Job-Search Persistence During Unemployment : A 10-Wave Longitudinal Study », Journal of Applied Psychology, 90, n° 3, pp. 411–430.

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