Son partenaire : la finance

Finance
Lors de son discours du Bourget, François Hollande avait désigné la finance comme « son véritable adversaire ». Il déclarait alors : « Si la finance est l’adversaire, alors il faut l’affronter avec nos moyens et d’abord chez nous ». Les moyens dont la France s’apprête à se doter, regroupés dans une loi bancaire initialement promise pour l’été 2012, s’avèrent très largement insuffisants. La position du Parti de Gauche n’a pas changé : on ne combat pas la finance avec un pistolet à bouchons.

Seule la séparation entre banques de dépôts et banques de marché permettrait de limiter les risques de nouvelles crises financières en laissant les spéculateurs faire faillite sans menacer outre mesure le financement de l’économie et sans que le contribuable n’ait à en payer les pots cassés. Par ailleurs, la séparation, en supprimant la garantie de l’Etat sur les activités de marché, réduirait l’importance des banques de marché dans l’économie française rétablissant ainsi un usage utile de l’épargne des ménages en direction de l’économie réelle.

Lobby bancaire

Dès la phase de rédaction du projet de loi, l’influence du lobby bancaire s’est fait sentir. Les auditions devant les parlementaires ont réuni en majorité des personnes issues des milieux bancaires dirigeants plutôt que des associations ou des universitaires spécialistes de ces questions. Le « Collectif pour un Pôle Public Financier » a une nouvelle fois été écarté, comme lors de la discussion sur la Banque Publique d’Investissement.

Le caractère opaque et anti-démocratique de la démarche transparaît jusque dans le projet de loi : un paragraphe écarte toute possibilité d’étude sur les conséquences de la loi pour le secteur bancaire, et ce « pour des raisons de confidentialité et de secret des affaires ». L’intérêt général et l’accès des citoyens à la transparence de l’information s’effacent au profit des intérêts privés de quelques dirigeants de banques surpayés.

La « séparation » abandonnée

Le discours du Bourget promettait « le vote d’une loi sur les banques qui les obligera à séparer leurs activités de crédit de leurs opérations spéculatives ». Il s’agissait de l’engagement n°7 du programme du candidat Hollande. En définitive, le projet de loi bancaire ne vise qu’à « filialiser » les activités de spéculation pour compte propre. La filialisation n’est pas la séparation : la structure juridique des banques universelles (ou mixtes) qui regroupent activités de crédit et de marché ne change pas. Les grands groupes bancaires ont déjà filialisés la plupart de leurs activités de marché. C’est le cas par exemple de la BNP. Il s’agit donc dans la plupart des cas de reconduire l’ancien système. Une filiale en difficulté peut pourtant facilement mener à l’effondrement d’un groupe solide, comme l’a montré l’exemple d’AIG aux Etats-Unis.

L’utile et l’inutile…

Lors de leur audition devant la Commission des Finances de l’Assemblée Nationale, les dirigeants des trois plus grosses banques françaises se sont déclarés satisfaits de la loi. Non seulement il n’y aura pas de séparation, mais selon le PDG de la Société Générale, Frédéric Oudéa, à peine 1% du produit net bancaire (PNB) sera filialisé. Une étude d’Alphavalue évoquait le chiffre de 2%. Ce chiffre ridiculement bas est à comparer aux 78% du PNB que ces mêmes banques consacrent à des activités qui ne relèvent ni du crédit aux ménages, ni du crédit aux entreprises.

L’accumulation des exceptions inscrites dans le projet de loi conduit à qualifier « d’utiles » des activités de pure spéculation n’ayant rien à voir avec des activités de couverture de risques classiques. Il en va ainsi de l’échange de produits de spéculation sur les matières premières agricoles, du carry trade qui permet de spéculer sur les taux de change ou de la vente à un Hedge Fund domicilié dans un paradis fiscal d’un CDS sur dette souveraine. Enfin, le Trading Haute Fréquence (THF) qui devait être interdit n’est en fait que très partiellement régulé : selon Finance Watch, 90% des ordres relevant du THF ne seront pas concernés par la mesure.

Avec un salaire moyen de 20 000 euros par jour, qui dépend beaucoup de la poursuite de ces activités de marché, les dirigeants des principaux groupes bancaires ont donc de bonnes raisons de se réjouir. Certains médias veulent croire que les amendements déposés en commission vont dans le bon sens, notamment sur l’obligation de faire un rapport des activités par pays, mais aucun moyen réel n’est donné aux autorités de contrôle indépendantes alors qu’il faudrait interdire certaines activités à l’international. À l’image du discours du Bourget, le gouvernement se contente d’effets d’annonce mais cède au lobby bancaire. Il faut exiger de publier les impôts payés par pays et limiter par un ratio maximum les activités spéculatives dans le BNP entre 10 et 15%.

Les contribuables garants

La garantie implicite par l’Etat se justifie pour les activités de dépôts et de crédit. Ces services relèvent de l’intérêt général et du financement de l’économie. En grande partie assurés par des banques privées depuis la fin des années 80, iles devraient pourtant relever d’un Pôle Financier Public, tirant les leçons du passé, comme nous le proposons dans notre programme.

Dans la mesure où le projet de loi ne revient pas sur l’association entre banques de dépôts et banques d’affaire (le modèle dit de « banque universelle »), cette même garantie publique s’applique également aux activités de marché, c’est à dire à toute l’intermédiation financière « innovante », contribuant à son expansion vertigineuse depuis 30 ans. Il en va ainsi des activités décrites précédemment qui se caractérisent par un niveau de risque élevé. Les spéculateurs transfèrent une partie de ce risque aux contribuables qui viennent secourir le système bancaire le moment venu. Si un système de résolution des faillites bancaires est proposé dans le projet de loi, celui ci demeure imprécis et très limité. Il ne permettra pas de faire face à des organismes de crédit dont la taille est comparable au PIB de la France.

Aucun autre secteur économique ne bénéficie d’un tel soutien de l’Etat. La New Economic Foundation chiffre à 48 milliards d’euros la subvention (implicite) annuelle du contribuable aux grandes banques françaises. C’est près de 5 fois plus que la contribution fiscale de ces mêmes banques au budget de l’Etat (11 milliards en 2010). Ceci est d’autant plus choquant que les banques d’investissement augmentent sensiblement le risque de crises financières en orientant l’épargne disponible vers des investissements de très court terme, excessivement rentables, sans lien avec l’économie réelle et la réorientation industrielle dont notre pays a besoin.

Statut quo européen

Contrairement à ce qu’affirme le gouvernement, cette réforme bancaire n’est ni la première, ni la plus ambitieuse des réformes bancaires qui l’ont précédée. Au contraire. A la différence du projet Volcker (Etats-Unis), le projet du gouvernement n’interdit pas les activités qu’il souhaite filialiser ; contrairement au projet Vickers (Royaume Uni), il ne porte pas sur toutes les activités de marché et contrairement au rapport Liikanen (auprès de la Commission Européenne), pourtant peu ambitieux, il ne cantonne pas bon nombre d’activités de marché tels que les produits dérivés accordés aux hedge funds.

En réalité, la faiblesse du projet français incite déjà nos partenaires européens à en rabattre. L’Allemagne entend ainsi copier le projet français en limitant la filialisation à un nombre très restreint d’activités, et seulement à partir d’un certain seuil. Le risque est donc qu’à travers cette réforme à minima la France entraîne toute l’Europe vers le statu quo sur les pratiques financières et bancaires pourtant à l’origine de la crise.

Sandro Poli, co-président de la commission économie du Parti de Gauche.

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