Crise de la dette : la BCE coupable.
Cette note vise à apporter des informations/arguments supplémentaires (et actualisés) s’agissant du comportement de la BCE dans la crise. Nous résumons les derniers développements de la crise, du plan Grec au programme de refinancement des banques privées (LTRO 1 et 2). Des solutions alternatives sont précisées à l’aune de ces évènements.
1. La dernier « plan d’aide »: hypothèses hautement fantaisistes et crises à venir
Après 4 ans de récession, le dernier « plan d’aide » suppose une croissance repartant magiquement à la hausse à partir de 2013, allant de -7% fin 2012 à -1% seulement fin 2013. Ce pronostic est d’autant plus ahurissant qu’aucune mesure de relance n’est aujourd’hui avancée, au contraire. Les plans de privatisation et la fuite des cerveaux (vers l’Australie notamment) qui s’accélèrent affaiblissent la croissance potentielle du pays. Tandis que les fonds structurels européens ne dépassent pas les 44 milliards d’euros annuels pour toute l’Europe, le plan de privatisation Grec prévoit lui 50 milliards « d’économies ».
Quand bien même les objectifs de croissance seraient atteints, la Grèce devrait supporter un endettement de 160% du PIB en 2020 (178% en 2015), les besoins financiers du pays s’élevant d’ici là à 245 milliards d’euros pour un PIB de 300 milliards. Le moindre choc peut dans ce type de situation mené à des équilibres instables qui nécessiteront à nouveau une refonte du plan.
Depuis la signature de l’accord d’échange obligataire avec les créanciers privés, le financement de la Grèce d’ici à 2023 (date de maturité des nouveaux bonds détenus par les créanciers privés) ne dépend plus que des acteurs institutionnels (FESF, MES, BCE, FMI, …). Or, ce secteur est lui-même soumis à d’importantes tensions (cas Espagnol, Italien, Portugais et Irlandais). Aucun « plan B » n’est proposé si les mesures mises en place par ces pays sont rejetées et/ou que la récession s’aggrave.
A ce titre, le MES ne sera d’aucune utilité : il ne s’agit pas d’une banque centrale mais d’un simple fond de garantie à la force de frappe très limitée. Il ne peut emprunter auprès de la BCE et son capital de 500 milliards sera très vite insuffisant. La garantie ne permet pas de résoudre un phénomène spéculatif (anticipations auto réalisatrices). Elle entretien le phénomène en faisant reposer le risque de crise entièrement sur les Etats. En outre, elle devra s’accompagner de politiques pro-cycliques qui aggraveront les déficits.
L’analyse de la crise repose toujours sur le faux constat d’une crise des dépenses publiques et d’une crise de « confiance ». Les véritables raisons demeurent pourtant :
1. L’absence de régulation financière européenne (les flux de capitaux de court terme en provenance des banques du cœur de l’Europe ayant soutenu la bulle immobilière et bancaire des pays périphériques)
2. Le financement exclusif de la dette souveraine sur les marchés financiers.
3. La faiblesse du budget européen et des fonds structurels d’investissement.
4. La rigidité des critères de Maastricht
2. L’opacité du LTRO (Long Term Refinancing Operation) et le cadeau fait aux banques privées.
La BCE assure désormais le refinancement illimité des banques privées à taux faible (1%) pour une durée de 3 ans. Les banques décident du montant de leur prêt (elles ont d’ailleurs emprunté plus que nécessaire) et de sont pas tenues de rendre l’information publique. Elles ont la possibilité de s’adresser directement auprès des banques centrales de leur pays. Le collatéral nécessaire à la levée des fonds auprès de la BCE provient parfois de crédits bancaires préalablement garantis par les Etats (40 milliards pour les banques italiennes). Les banques peuvent ainsi justifier leur recours au LTRO ce qui produit l’effet inverse de celui recherché : transfert du risque bancaire sur les Etats, augmentation de l’effet de levier.
Première salve (LTRO 1, décembre 2011) de 489 milliards auprès de 523 banques européennes. Seconde salve (LTRO 2, février 2012) de 529 milliards auprès de 800 banques européennes. 15% provient de banques françaises, soit prés de 130 milliards (source : BCE). Selon Crédit Suisse, la BNP aurait emprunté 35 milliards d’euros auprès de la BCE, la Société Générale 22 milliards.
Les banques européennes ont des difficultés à emprunter sur le marché du dollar pour couvrir leurs opérations courantes. Les prêts de la BCE servent donc de matelas de sécurité à court terme, permettant aux décideurs de gagner du temps. Ils ne correspondent pas à un apport en capital : le problème de sous-capitalisation/solvabilité du secteur bancaire (cf. « stress tests ») n’est pas résolu. L’extrême volatilité observée sur les marchés avant la mise en place du programme (et donc le risque de crise bancaire) pourrait ressurgir à l’approche de la dernière salve, soit début 2013.
Que font les banques avec l’argent prêté ? Contrairement à la Grèce, aucune « condition », aucune « surveillance » n’est requise, et ce malgré l’aide astronomique apportée. Ceci ne peut que les inciter à prendre des risques. Rien n’empêche les banques d’utiliser les fonds prêtés à 1% pour acheter par exemple des actions Facebook à l’étranger ! Disposant de 1 à 3 ans pour rembourser les fonds, les banques n’utilisent pas cet argent pour investir dans le long terme. 50% des prêts de la BCE accordés aux banques françaises sont immédiatement redéposés auprès de la BCE à 0.25%. Les banques conservent leurs positions (risquées ou non), remboursent leurs clients et empochent la différence de taux par rapport à la situation antérieure. Le crédit au secteur privé lui ne repart pas à la hausse.
La nationalisation partielle ou totale des banques en difficulté, le fractionnement pour éviter le “too big to fail” (plus une banque est grosse, plus les Etats sont incités à les aider), la présence des Etats membres au Conseil d’administration, etc… rendraient possible la surveillance des décisions d’investissement et permettraient le financement de l’économie pour sortir de la crise. Bien sûr, les principaux actionnaires (dont les dirigeants font souvent partie) s’y opposent.
En théorie, le LTRO doit aussi inciter les banques à racheter de la dette souveraine (“carry trade”), et donc faire baisser les taux souverains. Or rien n’a changé pour les taux de long terme (10 ans) et seuls les taux à 2 ans ont baissé. Au contraire, après avoir signé des accords de financement douteux avant la crise, les banques privées se débarrassent désormais de leur exposition aux dettes souveraines. Elles sont même compensées pour cela ! Ainsi l’agence Bloomberg a révélé qu’en janvier 2011, l’Italie a jugé préférable de verser 3.4 milliards de dollars à la banque Morgan Stanley pour se débarrasser d’un accord sur produits dérivés contenant des produits toxiques.
3. L’intervention de la BCE sur le marché de la dette souveraine est une étape nécessaire pour sortir de la crise.
Que fait actuellement la BCE sur le marché des dettes souveraines ?
Il est difficile de connaître précisément le contenu du bilan de la BCE. On sait que dans le cadre du programme SMP (Securities Markets Program), la BCE a racheté un peu plus de 180 milliards d’euros de titres publics sur les marchés secondaires en décembre 2011. Ceci doit être comparé aux près de 2000 milliards du programme américain QE (Quantitative Easing) mis en place par la Fed. Si le niveau de la dette européenne est d’un ordre de grandeur comparable à celui de la dette américaine l’intervention de la BCE est pourtant 10 fois moindre !
Le rachat par la Fed s’est traduit aux Etats-Unis par une baisse des taux à 10 ans de la dette publique, aujourd’hui à des niveaux historiquement bas : autour de 1.8% contre 3% (France), 5% (Espagne), 6% (Italie), 13% (Portugal) ou 18% (Grèce). Le rôle d’une banque centrale est normalement de s’engager à maintenir la stabilité financière, donc des taux n’excédant pas une certaine valeur. Souvent, une simple annonce suffit à réduire les taux, sans que la banque n’ait à racheter la dette. La BCE s’y refuse pourtant, préférant maintenir des taux artificiellement élevés pour pousser les Etats à en finir avec le « modèle social européen » (dixit Mario Draghi dans le Wall Street Journal).
L’Europe et la BCE peuvent-elles se permettre une telle politique de rachat ?
Oui, affirme une récente étude menée par la banque Citigroup et reprise dans un rapport 2011 du Cepremap sur les banques centrales (Xavier Ragot). La capacité d’absorption sans création monétaire serait de 3000 milliards d’euros, à supposer que le système des banques centrales décide de se recapitaliser en conservant ses profits (d’une certaine manière un retour au financement public de la dette mais dans un cadre européen).
Cela signifie que la BCE pourrait racheter jusqu’à 3000 milliards d’euros sans créer d’inflation. Une dépréciation d’actif supérieur au capital s’appelle en générale une « faillite ». Or, pour une banque centrale, on parle de « banque centrale qui opère à capital négatif ». De nombreuses banques centrales fonctionnent ou on fonctionné avec un capital négatif : par exemple au Chili, en Israël ou en République Tchèque. Cela suppose un bilan négatif de la BCE le temps que les intérêts (à taux faibles) et le principal soient remboursés par les Etats emprunteurs.
Le programme de refinancement (LTRO) mis en place par la BCE permet aux banques françaises de s’adresser directement à la Banque de France et d’emprunter sans condition des milliards d’euros à 1%. Un programme similaire tourné vers les Etats serait donc possible pour des pays comme l’Espagne, l’Italie, le Portugal… qui se trouvaient en excellente santé budgétaire et fiscale avant la crise (souvent « meilleurs élèves » que l’Allemagne) et qui font aujourd’hui face à une crise de liquidité (comme les banques). Une « ligne de crédit préventive » pourrait être mise en place par la BCE (sur le modèle du FMI) : elle permettrait aux Etats concernés de pouvoir sortir des marchés de capitaux pendant une phase transitoire afin ne plus subir d’attaques spéculatives sur leur risque de défaut. Aujourd’hui, pour gagner du temps, on préfère garantir les crédits des prêteurs étrangers, hedge funds américains inclus !
Notons enfin que malgré la crise et le doublement de la taille du bilan de la BCE (passé de 400 milliards en janvier 2007 à 1000 milliards en janvier 2009), les anticipations d’inflation à moyen terme (entre 5 et 10 ans) restent à un niveau proche de 2%. Il n’y a pas de « pression inflationniste » (le risque est déflationniste aujourd’hui : la demande globale se contracte et l’endettement privé est élevé). Un peu d’inflation en Europe permettrait de réduire progressivement l’endettement des ménages et de l’Etat.
Sandro Poli, co-président de la commission économie du PG.
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