Les alternatives à « l’euro Merkel » en cas d’échec des négociations.
L’expression publique d’une alternative crédible à « l’euro Merkel » est aujourd’hui une nécessité. Dans cette note, nous définissons les contours de ce que pourrait-être cette alternative dans le cas où la négociation politique en vue d'un changement des statuts de la BCE et de la monétisation accrue des dettes publiques échouerait.
Il convient d’abord de rappeler que toute politique de relance et de redistribution de grande ampleur (telle que celle défendue par le FdG) qui s’interdit l’usage de la politique monétaire dans le cadre actuel de la monnaie unique, ou néglige son potentiel (les précédents historiques d’Amérique latine ou les tentatives de « transitions socialistes » en Europe de l’Ouest) est vouée à l’échec.
Ce pour deux raisons principales : d’une part, si un pays relance davantage qu’un autre, il crée des débouchés supplémentaires pour les autres pays, augmentant ainsi les importations et le déficit commercial. D’autre part, la relance crée des pressions inflationnistes qui encouragent la formation de déficits extérieurs du fait des différences de niveau général des prix entre pays [1].
Ces déficits de la balance commerciale ne pouvant être compensés par une dévaluation monétaire, leur accumulation conduit à emprunter de plus en plus d’euros auprès des pays à surplus de la zone euro, ou bien à l’étranger. Le pays doit s’engager à rembourser ses emprunts avec intérêts produisant ainsi une dépendance accrue vis à vis des prêteurs internationaux (BCE, FMI, etc.) et de leurs conditions de prêts, souvent contre-révolutionnaires (austérité, diminution de la place de l’Etat, etc.) : le fameux « mur de l’argent » est d’abord une conséquence de l’impensé monétaire. Ce mur nous serait opposé si les négociations visant à réformer les statuts de la BCE n’aboutissaient pas une fois élus.
Une politique monétaire européenne adaptée doit donc permettre de compenser les différences d’inflation et de croissance entre pays, laissant à chaque Etat membre de l’Union Européenne la possibilité de mener une politique macroéconomique autonome tout en permettant aux autres pays d’en faire de même. Le taux de change n’est plus alors un objectif (« l’euro fort ») mais redevient un instrument de politique économique, ce qu’il n’aurait jamais du cesser d’être.
I. Il n’est pas souhaitable de revenir au Système Monétaire Européen (SME), ce pour 3 raisons principales
- Cela créerait de l’incertitude du fait du changement brutal de la valeur de tous les titres, actifs, droits, contrats, libellés en euros (les français consacrent tout de même plus du quart de leur revenu sur des produits étrangers) par rapport à ceux qui le sont en une autre monnaie. Le SME, système de change « quasi » fixe, était marqué par ces chocs de dévaluation successifs. Souvent imprévus par les agents économiques, ils ne sont pas planifiés et sont donc vecteurs de risque et d’instabilité.
- Cela encouragerait la spéculation : les spéculateurs internationaux anticipaient les dévaluations successives et conduisaient à leur réalisation (anticipations auto-réalisatrices typiques des crises de change des années 90, cf. Georges Soros pour la livre anglaise)
- Cela ne serait pas une politique coopérative : les pays d’une même zone économique ont intérêt à dévaluer plus ou moins que les autres en réaction aux incertitudes de change de leurs partenaires commerciaux. S’engagerait une « guerre des monnaies » aux conséquences économiques imprévisibles et néfastes.
II. Deux alternatives crédibles peuvent être proposées :
- L’Euro-sud, qui consisterait en la création de deux (ou plusieurs) zones euros, composées de pays aux « avantages comparatifs » similaires et dont les besoins en terme de relance économique seraient équivalents. Toutefois, si la France n’est pas l’Allemagne, elle n’est pas exactement l’Espagne non plus. Si l’on regarde l’évolution des taux d’inflation récents entre ces deux pays, la France se situe à un niveau intermédiaire, d’où de nouvelles difficultés lors de la fixation du taux de change euro-sud / dollars.
- Le « Partenariat Monétaire d’Equilibre » (PME) qui repose sur une monnaie commune et la parité des taux de change réels entre pays de l’actuelle zone euro. Cette dernière proposition, déjà largement avancée comme une alternative sérieuse dès 1983 en sus du débat Delors / Chevènement[2], va plus loin que la proposition d’Oskar Lafontaine d’un retour au SME avec contrôle des mouvements de capitaux car elle en fait le bilan critique.
III. Le PME répond le mieux par ses critères aux 3 problèmes que posaient le SME
- Un glissement progressif du taux de change (jamais par à-coup) suivant l’inflation élimine l’effet d’incertitude des dévaluations brutales successives. Si les taux d’inflation annuels sont de 4% en France et 2% en Allemagne, l’euro-mark doit voir sa valeur en eurofrancs accrue de 2% chaque année.
- L’engagement (crédible) à maintenir par ce glissement l’équilibre permanent de la balance de base (solde des échanges de biens et services et capitaux de longs terme) élimine les possibilités de spéculation puisqu’elle compense les différences intra-européennes de taux d’intérêt et les gains et pertes relatifs qu’il y a à détenir en capitaux une monnaie plutôt qu’une autre. La balance de base exclus les mouvements spéculatifs de capitaux de court terme (déstabilisants, comme en Grèce ou en Espagne). Se focaliser sur celle ci permet d’éliminer ainsi l’effet de ces capitaux sur les parités entre monnaie.
- Cette politique est par construction coopérative : quoi que fasse les autres Etats (leurs actions influence le taux de change réel d’équilibre), elle constitue la meilleure réaction à ces actions des autres. En effet, comme tout déséquilibre d’une balance extérieure (de base ou commerciale) d’un pays correspond à des déséquilibres de sens inverse dans d’autres pays, un pays qui réduit son déficit ou son surplus de cette manière contribue au mieux à l’équilibre des soldes semblables des autres pays.
Chaque pays européen pourrait mener cette politique monétaire optimale pour lui-même sans se préoccuper de ce que font les autres. Toutefois, l’idéal serait que le PME s’accompagne d’une institution européenne type BCE dont le rôle serait de garantir la parité des taux de change réels (inflation comprise) entre les monnaies de chacun des pays de la zone, autrement dit de suivre les évolutions d’inflation et de croissance anticipées et de les compenser par glissement du taux de change pays par pays. Il y aurait donc maintien de la parité des vrais pouvoir d’achat et de vente moyens des biens et services des différents pays de la zone.
Sandro Poli, co-responsable de la Commission économie du Parti de Gauche (sandro.polieco@gmail.com)
Quelques sources pour approfondissements :
- Serge Christophe KOLM, Sortir de la Crise (1983). Polytechnicien, économiste reconnu, il fut l’un des meilleurs spécialistes d’économie monétaire. Professeur à Stanford et Harvard dans les années 1970, proche des mouvements socialistes et marxistes, soutien aux tentatives de transitions socialistes au Chili et en Europe de l’Ouest (dont il a su faire le bilan), il travaille aujourd’hui principalement sur les questions de choix social et de justice redistributive en économie.
- Paul KRUGMAN, Prix Nobel d’Economie 2008. Soutien qu’une sortie de la zone euro d’un certain nombre de pays (en particulier la Grèce, Chypre ou même l’Espagne) serait un mal moindre que d’y rester. Pourfendeur du supposé « risque inflationniste ».
[1] Ces pressions mettent plus ou moins de temps à s’enclencher selon la situation macroéconomique de départ (sous-emploi / plein emploi), en moyenne 3 ans.
[2] Alors largement négligée du fait de l’influence de techniciens de l’Elysée comme J. Attali, cf. S. C. Kolm, « Sortir de la crise » (1983).
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